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Portrait de Marcel Arland

Lettres à Marcel Arland

Jean PaulhanMalcolm de ChazalÉdith BoissonnasMarcel ArlandMarc ChagallJean DubuffetJean Fautrier

Les extraits de lettres qui suivent ont été publiés dans le catalogue de l'exposition Jean Paulhan à travers ses peintres organisée par André Berne-Joffroy

Billet
À propos de Fautrier et de ses originaux multiples

Fautrier, je ne crois pas que tu aies raison ; il me semble que Fautrier a grandi, dans la mesure où il se débarrassait de ses premiers feux d'artifice. Je trouve émouvante la rigueur de ses dernières toiles, leur simplicité, leur pauvreté. Mais peu importe. La question est ailleurs : voilà un homme qui invente, contre toutes les routines (et les combinaisons financières) un nouveau mode d'expression qui est à l'œuvre unique ce que le livre est au manuscrit. Eh bien, je crois que notre devoir, contre tant de silences honteux, incertains (ou intéressés) est de le soutenir – tout au moins de le faire connaître. Il y a là une question qui passe la critique d'art.

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Lettre
datée : 18 août
Touchant Chazal, l'art brut, Jean Dubuffet, Édith Boissonnas

Éccoute, c'est tout de même notre raison d'être, de mettre l'accent dans la littérature, sur ce qui a chance de la faire rebondir, de lui ouvrir (tant pis) des voies nouvelles.
Comme s'il y avait aussi, dans les Lettres, ce qui ne peut se comprendre que par surprise, qu'en étant chaque fois recommencé à neuf.
Bien. De ce point de vue, je ne vois guère depuis dix ans que Chazal et Dubuffet (peut-être Édith Boissonnas, mais encore bien oscillante) dont il y ait à tenir compte. Chazal, c'est une sorte de merveille solitaire : il a tout dit (et ce qu'il a dit me semble parfaitement durable.) Sur l'art brut, j'ai eu bien des doutes ; depuis les dernières découvertes de D. je n'en ai plus. Ce sera un mouvement au moins aussi fécond que l'art nègre, et les défauts de J.D. – sa mégalomanie, une certaine dureté de cœur – le servent ici au lieu de lui nuire. Quant à son retentissement littéraire, il dépend de nous pour une bonne part...

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Lettre
À propos de Chagall, Picasso

Il est impossible que tu ne sentes pas ce qu'il y a d'un peu petit dans les dernières toiles de Chagall, ce qui les fait ressembler, plutôt qu'à de véritables tableaux, à des aquarelles ou des gouaches agrandies. C'est si sensible, il me semble, que Maeght et Chagall leur ont donné des cadres avec marie-louises, des cadres de gouaches : des cadres qui leur vont, somme toute, extrêmement bien.
Un peu petit, je veux dire un peu mesquin, un peu astucieux. Cela n'empêche pas la vérité de tout ce que tu dis de ses harmonies de couleurs ; mais, moins démesurées (comme dans les aquarelles des Mille et une nuits), elles me touchaient davantage.
(Elles me touchent encore, ne me fais pas dire ce que je ne dis pas.)
À quoi tient ce caractère (un peu) mesquin ? À ceci peut-être : Chagall vit en Allemagne puis en France vers 1908-1911. Il connaît [Franz] Marc (qu'il imite quelque temps), puis les cubistes. Il accepte toutes les libertés des uns et des autres, sans accepter un seul de leurs problèmes, une seule de leurs difficultés. Il a continué. Somme toute, il nous offre des fleurs qu'il n'a pas payées.
Ce sont des fleurs qui n'ont pas fini de m'enchanter. Mais enfin l'émotion que peut me donner Picasso est (il me semble) d'une tout autre qualité – d'une tout autre grandeur.
Et faut-il qu'un peintre se pose des difficultés ? C'est une autre question. Remarque du moins qu'il échappe ainsi à la virtuosité (c'est déjà beaucoup) – à cette virtuosité à laquelle Chagall se laisse aller.
Tu me dis que les tableaux de Chagall te donnent envie de pleurer. Bien sûr. À moi aussi. Mais ce ne sont pas les très grands tableaux qui nous attendrissent. Ni en général les grandes œuvres. Grieg me donne envie de pleurer, Stravinsky jamais. Mauriac m'a parfois tiré des larmes des yeux (oui), jamais Joyce. Il m'est arrivé de pleurer à deux ou trois films, aux Misérables par exemple. Je ne crois pas qu'il nous faille approuver sans réserve nos larmes. C'est la niaiserie qui attendrit.