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Portrait chapeauté de Berne-Joffroy, par Bigorie, 1945

André Berne-Joffroy

[Article de Nicole Vulser, paru dans Le Monde du 23 mars 2007]

André Berne-Joffroy fut à la fois critique littéraire et artistique, essayiste, collaborateur de La Nouvelle Revue française. Une silhouette presque diaphane, un regard malicieux, un humour perçant et l'exquise élégance des érudits du siècle passé : tel est le portait rapide que l'on pourrait brosser de lui.

Quelqu'un d'"inclassable", disait à juste titre à son propos le critique d'art Pierre Restany. André Berne-Joffroy a bien connu nombre d'écrivains : Paul Valéry, Francis Ponge, Jean Paulhan, Yves Bonnefoy. Il fut l'un des rares à rendre visite à Antonin Artaud quand ce dernier était interné à l'asile de Rodez.

Il a également travaillé vingt-cinq ans comme conservateur au Musée d'art moderne de la Ville de Paris et a mis sur pied bon nombre d'expositions. Préférant, comme il aimait à le dire, "les artistes méconnus aux artistes en pleine gloire", il s'est attaché à faire découvrir des peintres ou des auteurs, en se battant par exemple pour qu'une exposition Jean Fautrier ait bien lieu, "malgré les fâcheries du peintre avec André Malraux", disait-il.

Il assura aussi le commissariat de la première grande rétrospective Mondrian dans un musée français, à l'Orangerie en 1969, et organisa l'exposition "Jean Paulhan à travers ses peintres" au Grand Palais en 1974. Tour à tour, André Berne-Joffroy a défendu Hartung, Bernard Saby, Laubiès, Atlan ou, plus récemment, Miguel Barcelo.

Né à Paris le 11 avril 1915, André Berne-Joffroy, orphelin très tôt de père puis de mère quand il n'était âgé que de 16 ans, poursuit ses études chez les eudistes à Versailles puis chez les jésuites à Evreux. Abandonnant rapidement des études de médecine, il est enrôlé dans les services de santé au début de la seconde guerre mondiale.

Démobilisé, il rentre à Paris et commence des études de philosophie. En 1941, sa rencontre avec Félix Fénéon - le fondateur de La Revue indépendante qui contribua à révéler les oeuvres de Rimbaud et Joyce - lui ouvre de nouveaux horizons. Sa fréquentation assidue des cours de Paul Valéry au Collège de France aussi. Il rejoint le groupe littéraire des Ursulines, qui rassemble d'ardents défenseurs de Gide, Valéry et Montherland contre les attaques en règle des critiques de la presse de la collaboration.

André Berne-Joffroy avait signé deux livres consacrés à Paul Valéry. "C'était un enchantement d'écrire sur lui", disait-il. Il signera également avec bonheur certaines préfaces, dont la plus personnelle reste celle de La Vie de Rancé de Chateaubriand.

L'ouvrage le plus connu d'André Berne-Joffroy reste Le Dossier Caravage, paru en 1959 aux Editions de Minuit. "Caravage, que j'admirais, me fit l'impression d'un sujet privilégié, provoquant cet acte très bizarre et qui me semblait presque inconcevable : discourir sur la peinture", expliquait-il. Cet artiste italien mort au début du XVIIe siècle, profondément oublié et méconnu jusqu'au début du XXe, devient alors son principal sujet d'étude.

Erudit, très libre d'esprit, très attentionné envers ses amis, et toujours curieux, André Berne-Joffroy savait aussi être "tenace et intrigant", comme il le disait lui-même, notamment quand les institutions, qu'il pouvait juger parfois trop frileuses, tentaient de lui mettre des bâtons dans les roues.

Nicole Vulser
Le Monde 23 mars 2007


Ressources

Portrait chapeauté de Berne-Joffroy par Bigorie, 1945


Correspondance : André Berne-Joffroy & Jean Paulhan, 1950-1958


Textes de André Berne-Joffroy sur Jean Paulhan :