Quelques lettres à Paul Éluard
Jean PaulhanAndré BretonPaul ÉluardPaul-Louis CouchoudLa correspondance de Paul Éluard & Jean Paulhan (1919-1944) est parue aux éditions Claire Paulhan.
Lettre
datée : Mardi (janvier ou février 1919)
J'aime que vous ayez dit le mot de "proverbe". Les habiles le craignent ; je pense qu'il faut beaucoup de simplicité et d'esprit critique pour le découvrir, et la chose. Et les Poèmes pour la paix me charment beaucoup.
Je voudrais que ces mots-de-science malgaches vous intéressent.
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Quel âge avez-vous, qui êtes-vous ? Je voudrais le savoir, et si nous pourrons nous connaître, mieux que par lettre, au sortir de ce long tunnel.
Je serai à Paris, je pense, à partir du 10 mars. C'est vous dire mon âge : j'ai trente-trois ans.
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J'ai aimé les haï-kaï de Julien Vocance, dont vous m'apprenez le vrai nom. Je les trouve parfaitement beaux — il m'est plus difficile de juger du dehors vos poèmes, tant ils me semblent intérieurs à moi, et comme encore en formation. Pourtant j'ai préféré "j'ai eu longtemps..." et "ma belle, il nous faut..."
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Il n'est pas normal qu'une poésie paraisse faite de mots : et ce sentiment, je pense, n'apparaît qu'après l'habitude de longues imitations. Je sens en vous cet effort droit pour toucher aux choses.
Quels écrivains aimez-vous ?
Je suis votre ami
Jean Paulhan
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Lettre
datée : lundi (Tarbes, avant le 27 février 1919)
seulement il y a onze jours j'ai connu cette revue [Littérature] — maintenant j'espère beaucoup d'elle (...)
André Breton m'a écrit tard, j'aurais insisté pour que figurent parmi les collaborateurs deux noms qui me sont chers.(...)
Je voudrais que vous connaissiez Breton. Si vous le voulez je vous enverrai de ses vers.
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Lettre
datée : mardi (mars 1919)
(...) Que pensez-vous de Littérature ? et que vous lui reprochez-vous qui ne sera pas dans notre Proverbe ? (...)
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Je suis préoccupé de démontrer que les mots ne sont pas une traduction des pensées (comme il arrive pour des signes télégraphiques, ou les signes de l'écriture) mais une chose eux-mêmes, une matière à réduire, et difficile.
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Lettre
datée : vendredi (après le 10 mars 1919)
(...) que je suis heureux que cette guérison vous ait intéressé.
il faudrait beaucoup pour supprimer toute personnalité.
d'abord que l'œuvre d'art ne soit plus prise pour imitation des choses vraies (l'imitation faisant songer à celui qui imite)
et bien plus profondément que les mots ne soient plus tenus pour signes, imitation des idées ou des choses. Cela se tient.
C'est ici que je travaille, à cette place précise. Je voudrais être digne, plus tard, de notre amitié.
Cela m'a beaucoup ému, les animaux et leurs hommes. Quelles fines et violentes relations vous avez avec les mots — que vous puissiez ainsi leur manquer — ou bien cette extrême douceur.
une fois à Paris, je vous prêterai "Sages et poètes..." — le livre de Couchoud, dont je vous avais parlé. (...)
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Lettre
datée : jeudi soir (29 mai 1919)
Pourtant le costaud meurt
Même sa maladie se portait bien,
Pense le chétif
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oui, il me tarde de vous voir. Mais demain je ne puis pas aller à Claudel.
(je l'ai vu chez Mlle Monnier, à une lecture de Romains. Il a une tête vulgaire et extraordinairement détaillée)
Avez-vous tous les jours tant de travail ? Je n'ai plus vu ni Breton ni Soupault.
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A la dame de fenêtre
La charette de foin qui déborde
Laisse une prairie, deux baisers, cinq brins
Que j'aime cette nourrice des oiseaux.
jean paulhan
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Lettre
datée : Dimanche (mars 1922)
merci. Je ne pensais pas que tu pusses devenir plus libre encore. Je devine à présent qu'il demeurait, même dans Exemples, quelques liens. Les Max Ernst sont très bien. As-tu lu l'histoire des aéroplanes qui se sont rencontrés dans un chemin d'air ? Dans ton air aussi tu sais faire des routes, peut-être des pays et des catastrophes. Je préfère celle des "Rubans". C'est vrai, où nous croyons-nous donc ? Que je suis content d'avoir ce livre.
Ton
Jean P.
Le pneumatique injurieux qui suit, envoyé par Paul Eluard, provoquera une longue rupture de presque dix ans entre les deux anciens amis :
datée : 10 octobre (1927)
Il me semble soudain que tu ne me connais pas bien, depuis assez longtemps, mais surtout depuis certain article de Jean Guérin dans la n.r.f et depuis la lettre que mon ami Breton t'a envoyée à ce sujet.
Il faut quand même que tu saches que je suis de la race qui t'emmerde, dans le détail et en gros, dans le particulier et dans le général.
Je te tiens pour un sale con entre tant d'autres, toi et ton style de morpion, toi et ta Légion d'Honneur de merde, toi et tes secrets d'alcôve, toi je te l'ai déjà dit, poussière de bidet, pauvre bougre bien français.
Lettre
non datée : (1935)
Ch[er] M[onsieur]
Je vous remercie des deux beaux poèmes que v[ous] m'avez adressés.
Vous en recevrez bientôt les épreuves.
Meill[eurs] sent[iments].
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Lettre
datée : Mercredi (fin septembre 1944)
Peut-être (si ça ne t'ennuie pas) devrais tu commencer la clef si tu la lis, par les "Observations". Je crois qu'il faut éprouver d'abord toute l'absurdité des vues courantes sur le langage et la poésie, si l'on veut avoir envie de trouver là-dessus la vérité.
— une vérité qu'il n'est pas facile (ni sans doute possible) de dire, mais qui peut, je crois (c'est tout le sujet de la Clef) être provoquée. (tel était le sens de cet épigraphe, d'un goût discutable) : il me semble que l'état poétique a sa réalité (évidemment), ses mesures, sa précision. Il me semble aussi qu'il peut être entraîné par des moyens d'ordre critique...
mais si j'y parviens, c'est une autre question. A toi,
Jean
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Lettre
datée : lundi matin (1944)
Voici à quoi Drieu fait allusion : quand la NRF a repris, quelques amis sont venus me dire qu'ils n'y collaboreraient qu'avec ma permission. Il aurait été prétentieux et quelque peu ridicule de leur refuser cette permission, qu'ils désiraient avoir. Je la leur ai donnée, le plus vite possible.
Parmi eux, étaient Marcel Jouhandeau, Marcel Arland, et — qu'il ne serait pas exact d'appeler mon ami — Jacques Chardonne.
A ma place, aurais-tu refusé ? Je me suis demandé souvent ce qui serait arrivé, si je l'avais fait.
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Par ailleurs, je n'avais jamais perdu le contact avec Drieu, et Jouhandeau. Je leur ai toujours dit très nettement ce que je pensais de leurs articles. (Et c'est en appuyant sa dénonciation d'une lettre de moi à Marcel [Jouhandeau] que Caryathis a voulu plus tard me faire arrêter).
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Non, tu n'aurais pas refusé, puisqu'à ce moment-là tu collaborais — comme le faisaient Gide et Valéry, comme Mauriac se déclarait prêt à le faire — à la revue. Tu as changé ensuite, comme eux — mais non pas, je pense, pour la même raison. Ç'a dû être, pour Gide et Valéry, les protestations de leurs amis ; pour toi, l'entrée en guerre de la Russie.
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C'est là que je crains vaguement que nous nous séparions un jour. Je suis contre les A[llemands] même s'ils devenaient C[ommunistes]. Peut-être est-tu pour les C[ommunistes] même s'ils devenaient Allemands.
Mais je t'embrasse. On est revenus de chez vous tout réchauffés.
Jean
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Lettre
datée : 17.2.47
Cher Paul,
ta seconde lettre désagréable, bien qu'elle porte quinze signatures (au lieu de cinq) est de bien meilleure tenue que la première, celle d'il y a vingt ans. Je crois que tu arriveras d'ici peu à réfléchir, tout seul. As-tu collaboré aux échos ? A première vue, je ne crois pas. A toi,
J.P.