Lettres à Marcel Jouhandeau à propos de Braque
Jean PaulhanMarcel JouhandeauGeorges BraqueMarie LaurencinLes extraits de lettres qui suivent ont été publiés dans le catalogue de l'exposition Jean Paulhan à travers ses peintres organisée par André Berne-Joffroy
datée : dimanche (vers 1939)
Les Braque sont admirables. Peut-être aimeras-tu, plus que tout, trois raisins violets et, à une fenêtre, un ciel bleu tout gêné de se trouver chez Braque.
Cela passe de loin Picasso.
Je vais écrire à Braque. Je crois que j'aime chez lui, jusque dans ce renversement des secrets (le ciel, le raisin devenant ce qui se cache) une patience, une minutie d'artisan français.
On n'est jamais plus sensible que devant Braque au côté Cocteau de Picasso.
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datée : lundi vers 1939-1940
C'est rarement moi qui en ai parlé le premier à Braque. Il trouvait remarquables les études sur lui d'Einstein ou de Raynal. Il m'a bien fallu lui dire qu'elles étaient idiotes (d'ailleurs je le soupçonne de ne les avoir guère lues ; et il parle de lui-même sur un ton qui rend inutiles ou absurdes, les constructions métaphysiques d'E. ou de R.). D'où je lui disais que toi seul...
Comment parler de Braque sans parler d'un état de l'âme. (Sans quoi il ne reste qu'un trumeau ou dessus de porte, parfaitement délicat).
Mais tu es aussi capable d'une sérénité dont rien n'approche.
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datée : jeudi vers 1942
Hier chez Braque. C'est merveilleux ses dernières toiles. Quelle sérénité, quelles présences. J'en reste enchanté.
(Ah, ce n'est pas un escamoteur. Il sait quelque chose. Je ne veux pas dire seulement en peinture).
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datée : samedi 16 octobre 1943
Il se peut que Braque m'échappe quelque jour. Mais je suis content de ce que j'ai écrit sur lui ; alors, plus content si je le continue. Si j'ajoute chaque année un nouveau chapitre. Puis je crois bien avoir considéré dans B. ce que chacun jusque-là négligeait : le métaphysicien (le métaphysicien d'avant les Grecs, qui a seulement passé par Jérusalem). Et je crois qu'en chacun de nous tous les hommes se succèdent, sauf le métaphysicien qui demeure.
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datée : mardi certainement 1943
Marie Laurencin... Remarque qu'elle ne commet sur Braque que l'erreur commune : elle le croit bon artisan, avec du goût, pas très intelligent. C'est tout le contraire : même le goût ne vient chez lui qu'après un sens métaphysique du monde, une sorte de génie, comparable à Héraclite ou Lao-Tse, qu'il ne découvre lui-même qu'insensiblement et par bribes, et d'ailleurs à peu près indécouvrable, inexprimable...
Surtout ne me réconcilie pas avec Marie en ce moment. Le Fautrier va lui paraître encore bien plus absurde que le Braque, et tout serait à recommencer.