Giuseppe Ungaretti
On peut dire que nous en avons vu depuis soixante-dix ans ! Des vertes et des pas vertes, des rouges et des pas rouges. Soixante-dix ans que nous buvons (comme disent les primitifs) le sang, et nous mangeons la chair de tant de bêtes inconnues. Non, nous étions bien trop innocents, nous n'avions pas demandé tant de guerres et d'occupations, tant d'abandons et d'exils, tant d'Histoire. Sans compter notre histoire personnelle à nous, pauvres petits morceaux, pauvres petites fibres, qui se poursuivait avec ses minces plaisirs et ses fortes douleurs, avec ses fiertés et ses hontes – ah ! la honte ne nous a pas fait défaut –, avec ses morts et encore ses morts. Toi, cependant toujours au premier rang, et de tous l'un des plus exposés. Et sans peur.
Sans peur, c'eût été peu : tu répondais. Tu répliquais à la solitude, au désert par la Fin du premier temps, à la guerre dans les tranchées par Le Port enseveli, à l'exil par Le Sentiment du temps, à la mort de ton fils par Il Dolore, aux détresses et aux naufrages, par Allegria et La Terre promise. Pour la première fois peut-être dans l'histoire, nous avons vu un grand poète qui fût aussi un poète d'occasions ; et qui grandit avec les années à chaque occasion nouvelle.
Ungaretti est passé comme nous tous par l'humour et l'amertume, par la métaphysique et par la passion. Il sait qu'il n'est d'image valable et de poésie que celle qui met en contact des objets lointains, plus ils sont lointains. Mais je pense qu'il a su donner son plein sens à cette vieille vérité – vieille du moins comme nous, hommes de soixante-dix ans.
C'est qu'elle est aussi la vérité du monde. C'est qu'un espace étrange, incompréhensible, sépare l'acte de la rêverie, la pensée du langage – et la fleur cueillie (dit-il) de la fleur offerte. C'est qu'à tout instant notre vie pourrait aussi bien s'arrêter – et tout serait à recommencer. Puisqu'il n'est point de passage raisonnable de l'un à l'autre. C'est de quoi nous avertit l'image, plus elle était improbable ; l'écart qu'elle manifeste, si grand soit-il, n'est pas plus large ni plus étroit que celui qui sépare la vie de la mort, et la navigation joyeuse de ce naufrage de chaque instant d'où nous repartons, comme un vieux capitaine échappé au sinistre. Les morts ne font pas plus de bruit que l'herbe heureuse. L'œil des nuits regarde notre repos, les gouttes d'étoile. La mort est le plus vrai des sommeils. Tout cela, tu l'as dit dans ta belle langue rugueuse, dure, secrète, si prompte à changer en idoles le terre à terre des bavardages, les plus légers remous de l'esprit.
Je songe à chaque page d'Ungaretti, je me hasarde le dire, à Leopardi. Mais de plus près encore au Rimbaud des saisons et des braises, à l'Apollinaire des fagnes. Aux poèmes des haïjins :
Sont-elles donc à sec
Les sources
Du remords
ou
Chacune de mes heures
Je l'ai vécue…
Une autre fois
Car il n'est point de mort qui ne soit aussi renaissance, ni de renaissance qui ne procède d'une mort, c'est donc qu'il existe près de nous, au plus profond des êtres et des choses, un pays innocent, où le temps nous échappe avec l'espace, et la clarté surgit à nos côtés dans la béatitude. Simplement nous faut-il, à chaque nouvelle occasion de notre histoire, retrouver, recomposer peut-être, cet âge d'or. Cela aussi, Ungaretti l'a écrit :
Je brûle les espaces et ce temps sur la colline
Comme un songe
Divine mort
Jean Paulhan, 1960.
Ressources
Giuseppe Ungaretti - Une vie, une oeuvre - France Culture 1988
Séminaire Giuseppe Ungaretti - Éloge de la description - Collège de France
- Allegria di Naufragi : 1919-2019 - Carlo Ossola
- Ungaretti, Fautrier, et la vie vivante de la nature - Isabel Violante
- Ungaretti et sa réception en Allemagne - Patrica Oster Stierle
- La poésie de Giuseppe Ungaretti : « fille indiscrète de l'ennui » ? - Olivier Chiquet
- Ungaretti et ses classiques - Carlo Ossola
Giuseppe Ungaretti legge "I fiumi"
Intervista a Giuseppe Ungaretti (1961)
Intervista a Giuseppe Ungaretti, 2 (1961)
Correspondance : Giuseppe Ungaretti & Jean Paulhan, 1921-1968
Bibliographie des textes parus dans la NRF
Les textes qui suivent, publiés dans La Nouvelle Revue Française, sont regroupés en quatre grands ensembles, les textes de Giuseppe Ungaretti, les notes et chroniques de l'auteur, les textes sur l'auteur et enfin, s'ils existent, les textes traduits par l'auteur.
Textes de Giuseppe Ungaretti
- Hymnes, 1928-12-01
- Il me semble étrange et singulier qu'un homme mort depuis un siècle ait su exposer..., 1930-04-01
- Hymnes, 1931-10-01
- Poèmes, 1934-10-01
- Grandeur de Fautrier, 1959-12-01
- Le Paradis dès l'Enfer, 1966-01-01
- Sous le signe de Niobé, 1968-03-01
Notes de Giuseppe Ungaretti
Ces textes de Giuseppe Ungaretti peuvent être des notes de lecture d'ouvrages, des notes d'humeur, des critiques de spectacles, des faits-divers, des textes inédits... Ils ont paru dans une "rubrique" de la NRf : Chronique des romans, L'air du mois, Le temps comme il passe , etc. ou dans un numéro d'hommage.
- Poèmes, 1962-04-01, Les revues, les journaux
Traductions de Giuseppe Ungaretti
- Notes et Pensées, de Giacomo Leopardi, 1930-04-01
Textes sur Giuseppe Ungaretti
Ces textes peuvent être des études thématiques sur l'auteur, des correspondances, des notes de lecture d'ouvrages de l'auteur ou sur l'auteur, des entretiens menés par lui, ou des ouvrages édités par lui.
- Histoire de Dada : lettres de Louis Aragon, Giuseppe Ungaretti, Paul Éluard, Tristan Tzara et Georges Ribemont-Dessaignes, par Collectifs, 1931-08-01, Notes et discussions
- Sentimento del Tempo, par Giuseppe Ungaretti (Vallecchi), par Benjamin Crémieux, 1933-11-01, Notes : lettres étrangères
- Les poèmes de Giuseppe Ungaretti passent pour être cérébraux..., par Armand Robin, 1953-07-01, Textes
- Les Cinq Livres, par Giuseppe Ungaretti (Éditions de Minuit), par Philippe Jaccottet, 1954-07-01, Notes : lettres étrangères
- Giuseppe Ungaretti, par Jean Guérin, André Pieyre de Mandiargues, 1954-11-01, Les revues, les journaux
Répartition temporelle des textes parus dans la NRf (1908—1968)
On trouvera représenté ici la répartition des textes dans le temps, réunis dans les quatre catégories précédemment définies : Textes, Notes, Traductions, Textes sur la personne.
Bibliographie des textes parus dans la revue Commerce
Les textes qui suivent, publiés dans la revue Commerce, sont regroupés en deux ensembles, les textes de Giuseppe Ungaretti et les textes traduits par l'auteur.
Textes de Giuseppe Ungaretti
- Apunti per una poesia (p. 17-29), printemps 1925 [188 p.]
- Notes pour une poésie (p. 22-41), été 1927 [236 p.]
- Note sur Leopardi (p. 141-146), hiver 1927 [228 p.]
Textes traduits par Giuseppe Ungaretti
- Leopardi, Pensées (p. 147-180), hiver 1927 [228 p.]
Bibliographie des textes parus dans la revue Mesures
Les textes qui suivent, publiés dans la revue Mesures, sont regroupés en deux ensembles, les textes de Giuseppe Ungaretti et les textes traduits par l'auteur.
Textes de Giuseppe Ungaretti
Textes traduits par Giuseppe Ungaretti
- Marcello Gallian, Le monastère, 15 octobre 1935 [188 p.]
Bibliographie des textes parus dans les Cahiers de la Pléiade
Les textes qui suivent, publiés dans les Cahiers de la Pléiade, sont regroupés en trois ensembles, les textes de Giuseppe Ungaretti, les textes traduits par l'auteur et les textes dont il est le sujet.