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portrait d'André Breton

Au grand jour

par André Breton

L'activité surréaliste vient de traverser une crise qui doit prendre fin. En l'absence de toute manifestation extérieure de cette activité, les équivoques, les interprétations tendancieuses, les conclusions hâtives étaient inévitables. Si le moment nous paraît venu de les dénoncer, c'est que dans leur variété, l'ensemble des arguments qu'on nous oppose est tel qu'il nous suffira d'y faire face pour rendre objective notre situation véritable. On ne manquera pas de trouver nouveau de notre part ce souci du qu'en-dira-t-on. C'est bien mal nous connaître. Nous nous sommes toujours fait un devoir de caractériser aussi nettement que possible et à chaque instant notre attitude morale. C'est encore de cela qu'il s'agit, et de cela seulement : en vain, dans les textes qui suivent cherchera-t-on l'expression de préoccupations poétiques ou politiques, suivant la sorte d'intérêt que chacun nous portera. Nous n'en traiterons pas ici. Si nous réunissons ces quelques lettres, c'est, d'une part, que pratiquement nous voyons ici un avantage à ce que leurs différents destinataires puissent les confronter. D'autre part, il est aisé de comprendre que par-delà ces destinataires occasionnels que nous considérons diversement, nous avons en vue, plus que leurs personnes, les thèses générales qu'ils soutiennent. Aussi la publication de ce dossier a-t-elle pour but de mettre les pièces du procès entre les mains de quiconque s'intéresse au fondement moral de nos actions.

Au nom d'un certain principe d'honnêteté qui doit, selon nous, passer avant tout autre, en novembre 1926, nous avons rompu avec deux de nos anciens collaborateurs : Artaud, Soupault. Le manque remarquable de rigueur qu'ils apportaient parmi nous, l'évident contre-sens qu'implique, en ce qui concerne chacun d'eux, la poursuite isolée de la stupide aventure littéraire, l'abus de confiance dont chacun d'eux est à quelque titre le zélateur, n'avaient été que trop longtemps l'objet de notre tolérance. En un rien de temps, nous en avons fini, pour le second avec ce louvoiement incompréhensible, pour le premier... (1). A l'heure où pour chacun de nous il importait de conditionner, vraiment de conditionner, l'action surréaliste, conscience prise unanimement de son but révolutionnaire, et pour cela d'assigner à cette action les limites exactes qu'elle comporte, limites qui, révolutionnairement parlant, ne sont pas imaginaires mais réelles, nous n'avons eu à envisager que ces deux seules défections. Si, par ailleurs, et seulement en fonction de nos humeurs respectives, nous n'avons pas tous cru devoir adhérer au Parti Communiste, du moins nul d'entre nous n'a pris à sa charge de nier la grande concordance d'aspirations qui existe entre les communistes et lui. Dans leurs rangs, quelque jour qu'il se soit fixé pour rejoindre son poste, sans pour cela qu'il soit trop tard, nul n'a voulu laisser croire qu'on ne le trouverait pas. Nous sommes assez sûrs maintenant les uns des autres pour ne pas avoir à nous attendre. Mais c'est ici d'une première tentative de reconnaissance, accomplie par cinq d'entre nous, que nous voudrions rendre compte. Peut-être y va-t-il de l'orientation de quelques hommes à venir, qui aimeront être tenus au courant de certaines de nos démarches et les jugeront sans parti pris. Après tout, cela peut être aussi édifiant que le récit d'un voyage en Russie des Soviets. Sans dogmatisme aucun, et en essayant seulement de prendre les mots sur le vif, à la faveur de ce que plusieurs lettres datées du même jour permettent de penser, nous espérons donner la mesure de nos moyens actuels, faire apprécier ce que nous vaut un effort d'accommodation tel, en tout cas, que nous n'en avions jamais fourni, faire reconnaître cette volonté qu'on nous connaît et que rien n'est près d'abattre.

Nous nous en voudrions de ne pas être plus explicites au sujet d'Artaud ; il est démontré que celui-ci n'a jamais obéi qu'aux mobiles les plus bas. Il vaticinait parmi nous jusqu'à l'écoeurement, jusqu'à la nausée, usant de trucs littéraires qu'il n'avait pas inventés, créant dans un domaine neuf le plus répugnant des poncifs.

Il y a longtemps que nous voulions le confondre, persuadés qu'une véritable bestialité l'animait. Qu'il ne voulait voir dans la Révolution qu'une métamorphose des conditions intérieures de l'âme, ce qui est le propre des débiles mentaux, des impuissants et des lâches. Jamais, dans quelque domaine que ce soit, son activité (il était aussi acteur cinématographique) n'a été que concession au néant. Nous l'avons vu vivre deux ans sur la simple énonciation de quelques termes auxquels il était incapable d'ajouter quelque chose de vivant. Il ne concevait, ne reconnaissait d'autre matière que « la matière de son esprit », comme il disait. Laissons-le à sa détestable mixture de rêveries, d'affirmations vagues, d'insolences gratuites, de manies. Ses haines, - et sans doute actuellement sa haine du surréalisme, - sont des haines sans dignité. Il ne saurait se décider à frapper que bien assuré qu'il pourrait le faire sans danger, ni conséquences. Il est plaisant de constater entre autres choses que cet ennemi de la littérature et des arts n'a jamais su intervenir que dans les occasions où il y allait de ses intérêts littéraires, que son choix s'est toujours porté sur les objets les plus dérisoires, où rien d'essentiel à l'esprit ni à la vie n'était en jeu. Cette canaille, aujourd'hui, nous l'avons vomie. Nous ne voyons pas pourquoi cette charogne tarderait plus longtemps à se convertir, ou, comme sans doute elle dirait, à se déclarer chrétienne.


    1 - Soupault : Le bon Apôtre, Coeur d'or, etc.


Voir également la note de Jean Guérin sur la réponse d'Artaud aux surréalistes.