Vincent Muselli
Il remettait indéfiniment sur le métier ses poèmes et ne se souciait guère de les voir publiés ; le plus scrupuleux des poètes, s'il était le moins scrupuleux des hommes : libertin, au sens du XVIIe siècle, ou, comme nous disons, anarchiste. Le scrupule chez lui commençait à la difficulté. Vous donnait-il rendez-vous à l'angle de deux rues sauvages, sur les deux heures du matin, on était sûr de l'y trouver ; dans un bistrot, à des heures plus honnêtes, il ne venait pas. Mais il imaginait le lendemain des excuses si subtiles que c'était plaisir de l'entendre.
Il n'a pas écrit, prose ou poésie, une page qui ne donne le sentiment de la maîtrise : tant l'exécution chez lui suit de près le propos, et parfois le découvre. Il avait le goût et l'oreille justes. Il était parfaitement intelligent, et je ne sache pas de poète qui domine plus clairement sa matière. (Mais le poète doit-il dominer sa matière ? Ah ! c'est une autre question.)
Et que se proposait-il ? Il était passé par Virgile et Marot, par Saint-Amant et les Baroques. Il admirait Moréas, du Plessys. Et sans doute fut-il tenté plus d'une fois de “tricher avec les siècles, cet acte principal du poète” (comme disait Mallarmé, à propos de Moréas, justement). Pourtant, ses poèmes n'allaient jamais sans cette allusion secrète au langage parlé, qui fit défaut à l'École romane. Si curieux qu'il fût des archaïsmes et des bizarreries du langage, il n'a jamais cherché — fût-ce dans la poésie gnomique ou dans la didactique — qu'à fixer une langue perpétuelle, qui puisât aussi bien dans le passé que dans le présent.
Il me semble que ses poèmes d'amour et de connaissance, si parfaitement élégants, demeurent parfois un peu glacés. Mais il a chanté admirablement la bonne chère, l'ivresse, les banlieues :
Vieux murs pleins de venin, routes empoisonnées,
Pour ton cœur inquiet, c'est ici qu'il fait bon.
Vois s'étendre, au-delà des vapeurs du charbon,
Un horizon haineux peuplé de cheminées...
la vieillesse, la ruine des choses :
La cage aura perdu ses oiseaux et ses chants ;
Au vulgaire papier la vitre aura fait place ;
Et tu verras, malheur redoublé par la glace,
Sur leurs pieds inégaux nos meubles trébuchants...
la mort :
Ne prends point de souci des arbres ni des roses,
Qu'importe à notre amour leur indigne trépas,
Va ! notre cœur échappe au désastre des choses,
Lui qui sent venir l'ombre et qui ne tremble pas !
Vincent Muselli a vécu pauvre. Il est mort, à soixante-dix-sept ans, dans les souffrances d'un cancer. Pourtant il n'a jamais eu de plainte. Tant qu'il a pu parler, ç'a été avec grâce et avec ironie ; et ce n'est pas dans son œuvre seule qu'il donnait le sentiment de la maîtrise.
Jean Paulhan, 1956.
Ressources
Correspondance : Vincent Muselli & Jean Paulhan, 1927-1951
Voir aussi, de Jean Paulhan :
Bibliographie des textes parus dans la NRF
Les textes qui suivent, publiés dans La Nouvelle Revue Française, sont regroupés en quatre grands ensembles, les textes de Vincent Muselli, les notes et chroniques de l'auteur, les textes sur l'auteur et enfin, s'ils existent, les textes traduits par l'auteur.
Textes de Vincent Muselli
- Les sonnets à Philis, 1927-05-01
- Nous irons tous deux, 1929-09-01
- Stances de contre-fortune, 1930-12-01
- De l'argument qui prouve trop et qui - partant - ne prouve rien, 1933-02-01
- Les convives, 1943-06-01
Textes sur Vincent Muselli
Ces textes peuvent être des études thématiques sur l'auteur, des correspondances, des notes de lecture d'ouvrages de l'auteur ou sur l'auteur, des entretiens menés par lui, ou des ouvrages édités par lui.
- Vincent Muselli, par Jean Paulhan, 1956-08-01, Notes
- Œuvre poétique, de Vincent Muselli (Point et Contrepoints), par Jean Guérin, 1959-11-01, De tout un peu
Répartition temporelle des textes parus dans la NRf (1908—1968)
On trouvera représenté ici la répartition des textes dans le temps, réunis dans les quatre catégories précédemment définies : Textes, Notes, Traductions, Textes sur la personne.
Bibliographie des textes parus dans les Cahiers de la Pléiade
Les textes qui suivent, publiés dans les Cahiers de la Pléiade, sont regroupés en trois ensembles, les textes de Vincent Muselli, les textes traduits par l'auteur et les textes dont il est le sujet.