Henri Calet
Il y a des pays où le monde tout entier nous couvre, se penche sur nous gentiment, comme s'il était là pour nous abriter : les pays de grandes forêts, par exemple.
Ici, pas du tout. On ne s'y sent pas en famille, non. La nature n'y a rien qui ressemble à une maison. C'est plutôt le contraire.
C'est plutôt le contraire. Puisque enfin c'est le toit qui fait la maison, plus il est large et vaste et bien abritant. De sorte qu'il nous semble toujours (et il arrive en général) qu'une maison va en s'élargissant vers le haut, que le toit la déborde toujours à droite et à gauche. Mais une montagne, non. Et encore moins une montagne de montagnes — comme on en rencontre en Suisse à tous les pas. Cela devient de plus en plus effilé, pointu. Cela finit par faire un simple cap, à peine un bec, un filet de paratonnerre. Il faudrait la renverser pour en tirer parti, inutile d'essayer. Voilà qui ne décourage personne. Pas les Suisses en tout cas. C'est vrai qu'ils ont l'habitude. Mais les autres, vous et moi ? Eh bien, ils n'ont qu'une ressource.
Autre chose : tu t'y perds parfois parmi des nuages, qui se forment et se dissipent d'une même vitesse. Et parfois, ils roulent simplement près de toi, à te toucher. Il suffirait d'étendre le bras.
Quand le nuage s'évanouit, tu vois soudain devant tes yeux des pierres, et encore des pierres. D'immenses roches, taillées de toutes les façons, mais qui semblent légères. Et par là-dessus le soleil (qui a parfois l'air de les balancer) ; le soleil avec tous ses feux : ses feux d'or, d'argent ; ses feux bleus et verts aussi. Ses feux de néon, ses feux neigés. Ses feux comme en ont les casques.
Mais c'est peu de dire que tu les vois, tu es confronté à eux, il te faut répondre, ce sont eux qui te pressent de parler. De dire quoi ? Par exemple, que sur ces sommets orgueilleux, les neiges éternelles...
Ah ! tu vois bien que tu ne peux pas non plus parler des montagnes. Il te faudrait avouer d'abord, c'est pour toi le plus difficile, que tu es un écrivain. Que tu es plus exactement un littérateur, et par là coincé dans les modes de ton temps. Dans un matériel de pas très bonne qualité, où le sublime fait tout de suite bavard, et le grandiose est grandiloquent.
Là aussi, il ne te reste qu'une ressource.
Je crois que je comprends très bien ce qui est arrivé à Henri Calet (et à pas mal d'autres) : c'est qu'il a perdu la tête, il est tombé amoureux de la Suisse.
Il s'agit de toute évidence d'un amour comme un autre amour : plutôt maladroit, qui se trahit à la fois par une grande obstination, mais par une vive gaucherie : à qui tous les masques sont bons ; et d'abord ceux-là dont on lui fait grief (très justement) : la légèreté, la suffisance — quoi, la trivialité même et les méprises. Je connais très bien la chose, j'ai passé par là. Moi aussi j'ai été amoureux de la Suisse. J'ai même tâché de le laisser entendre, mais d'une manière à vrai dire un peu contournée, qui n'a convaincu personne.
Eh bien, Calet est prêt à recommencer, s'il le faut (il est trop pénible d'être mal jugé). Et si l'on y songe, quand le langage à la fois nous manque et la sécurité, quand chaque détail est fait pour nous troubler et que les mots nous trompent, l'amour est à tout prendre la seule ressource qui nous reste.
Jean Paulhan, 1948, in Œuvres Complètes.
Ressources
Le Croquant indiscret : enquête dans le Paris mondain des années 50, signée Henri Calet
Mention de Henri Calet dans un texte sur Jean Paulhan :
- Un des premiers de l’équipe : Jean Paulhan de Bernard Baillaud
Bibliographie des textes parus dans la NRF
Les textes qui suivent, publiés dans La Nouvelle Revue Française, sont regroupés en quatre grands ensembles, les textes de Henri Calet, les notes et chroniques de l'auteur, les textes sur l'auteur et enfin, s'ils existent, les textes traduits par l'auteur.
Textes de Henri Calet
- La Belle Lurette, 1935-09-01
- Temps pris, 1936-11-01
- À pas comptés, 1958-02-01
Notes de Henri Calet
Ces textes de Henri Calet peuvent être des notes de lecture d'ouvrages, des notes d'humeur, des critiques de spectacles, des faits-divers, des textes inédits... Ils ont paru dans une "rubrique" de la NRf : Chronique des romans, L'air du mois, Le temps comme il passe , etc. ou dans un numéro d'hommage.
- Vie de Klim Samguine, I, II, par Maxime Gorki (Rieder), 1936-05-01, Notes : lettres étrangères
- Étrange famille, par Michel Matveev (Éditions de la N. R. F.), 1936-08-01, Notes : récits et romans
- Déclaration, 1956-09-01, Le temps, comme il passe
Textes sur Henri Calet
Ces textes peuvent être des études thématiques sur l'auteur, des correspondances, des notes de lecture d'ouvrages de l'auteur ou sur l'auteur, des entretiens menés par lui, ou des ouvrages édités par lui.
- La Belle Lurette, par Henri Calet (Éditions de la N. R. F.), par Eugène Dabit, 1936-01-01, Notes : romans et récits
- Henri Calet, par Marc Bernard, 1956-09-01, Notes
- Henri Calet préparait un ouvrage sur Paris. Depuis 1953 jusqu'au moment..., par Fr. P., 1957-07-01, Le temps, comme il passe
- Peau d'ours, par Henri Calet (Gallimard), par Georges Anex, 1958-08-01, Notes : la littérature
Répartition temporelle des textes parus dans la NRf (1908—1968)
On trouvera représenté ici la répartition des textes dans le temps, réunis dans les quatre catégories précédemment définies : Textes, Notes, Traductions, Textes sur la personne.
Bibliographie des textes parus dans les Cahiers de la Pléiade
Les textes qui suivent, publiés dans les Cahiers de la Pléiade, sont regroupés en trois ensembles, les textes de Henri Calet, les textes traduits par l'auteur et les textes dont il est le sujet.