Notre ami Jacques Decour
Jean PaulhanJacques DecourIl y a eu un an le 30 mai que Jacques Decour a été fusillé. Nous n'avons pas oublié notre compagnon de lutte. Il est toujours parmi nous avec sa lucide intelligence, son ironie, sa vaillance et le fin sourire que nous aimions. Il est toujours à nos côtés et nous nous efforçons d'être dignes de lui. L'un de nous a rappelé son souvenir en un émouvant article que vous lirez ci-dessous. Et cet hommage prend une valeur d'autant plus grande que son auteur ne partage pas les idées politiques qu'avait Jacques Decour. Il témoignera de l'union étroite de tous ceux qui combattent pour l'indépendance et la grandeur de la patrie au sein du Front National.
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Jacques Decour fut arrêté par la police française, le 19 février 1942 : il était accusé de propagande communiste. Le 5 mars, alors que l'instruction de son procès commençait à peine, il fut livré à la Gestapo. C'est le 30 mai seulement, après cent jours d'interrogatoire et de tortures qu'on le fusille, aux côtés du physicien Solomon et du philosophe Politzer. Tous trois reposent au cimetière de Bois-Colombes, douzième division.
Le vrai nom de Jacques Decour, neveu d'un orientaliste célèbre, était Daniel Decourdemanche. Agrégé de langue allemande, professeur au lycée Rollin, il avait écrit deux romans : Le Sage et le caporal, Les Pères, dont le thème commun est : comment un jeune bourgeois peut-il, aujourd'hui, vivre en gardant bonne conscience ? Ses héros essayaient, sans grand succès, de l'amour, de la révolte, de la vie rangée, du cambriolage même.
La conclusion des Pères était : "Il y a une grande tromperie à vouloir être à la fois l'auteur et le héros d'un roman. Si l'on se sent l'homme d'un livre, il faut vivre ce livre, mais il ne faut pas l'écrire..."
Puis Jacques Decour devint communiste.
Avant la guerre, Jacques Decour dirigeait la revue Commune. La police française l'a accusé d'avoir inspiré, dès 1940, L'Université Libre et La Pensée Libre. C'est lui qui avait pris à tâche, dès 1941, de fonder la revue de Front National où l'on lira ces lignes.
Il était long et mince, l'air moqueur. Il avait gardé une gentillesse d'enfant. Ses dons étaient si divers et si grands que ses amis se demandaient s'il pourrait jamais tenir tout ce qu'il promettait. Il est mort à trente-deux ans, sans avoir jamais renié une seule de ses convictions, sans avoir trahi un seul de ses camarades. Il écrivait en 1939, dans Commune :
"La Révolution française nous a appris que le bonheur dans la liberté politique et l'indépendance nationale sont inséparables".
Il ne les séparait pas. C'est pour l'une et pour l'autre qu'il s'est préparé à mourir ; puis qu'il est mort. C'est pour l'une et pour l'autre qu'il sera vengé. Ensuite viendra sa gloire.
(Texte publié dans Les Lettres françaises n° VII, 15 juin 1943, p. 3)