La Guérison sévère, par Jean Paulhan
René CrevelDe mouvements au ralenti vus sur l’écran, soudain nous comprenons que marcher, sauter, danser, lever les bras sont des actes dont chacun marque le mystère le moins facile à expliquer et cependant le plus simple.
Les états et les visions que Jean Paulhan nous présente dans La Guérison sévère (je pense surtout au récit du malade, intitulé Maladresse à se guérir), des phrases aux contours précis nous donnent une notion troublante de leur mystère essentiel. D’instants que notre paresse se plaît à croire insaisissables, il a, l’opium du rythme et de l’habitude dédaigné, montré l’existence du réel le plus surprenant que la bonne santé sacrifie toujours à quelque objet extérieur et médiocre. Ainsi, ce qu’il nomme Maladresse à se guérir n’est peut-être en somme qu’une résolution, par nature limitée dans le temps, de n’abandonner point, avant d’en avoir fait le tour, un monde où la pensée, si, comme le dit Jean Paulhan, elle continue à rester pareille à elle-même quand le corps change tellement, du fait même que le corps change, se révèle apte à quelque règne insoupçonné et magnifique.
J’ai parlé de mouvements au ralenti. Mais le récit du malade, et celui de sa femme accourue à son chevet, par la grâce de cette magie qu’opère de soi-même la maladie, ne sont-ils pas en vérité, à propos d’un petit fait (lettres d’une autre femme trouvées dans la poche du malade, un ruban aussi) les fresques animées de la pensée la plus subtile ! Alors je me rappelle la réponse de Jean Paulhan à l’enquête sur le suicide où il nous disait ce que gagnent les hommes à être malades.
De la maladie de Jacques (héros de La Guérison sévère) naît le miracle qui nous fait considérer les esprits parfois comme des vases communicants, ou bien encore de croire que les âmes sont toutes d’un même continent, et n’échappent à l’âme commune qui les assemble toutes que par des presqu’îles particulières jetées de-ci, de-là dans une mer extérieure !
Ainsi, par les lettres découvertes par la femme, s’opère la transfusion de la pensée qui mieux et plus vite que la transfusion du sang permet au malade de guérir.
Convalescent et faible, ne conclut-il pas :
L’impression même que je recevais de ma faiblesse était nouvelle, elle était l’impression d’une faiblesse à corriger — tant j’éprouvais à présent, sur un autre point et à la faveur de ce tort avoué une autorité inattendue.
Celle-là même que j’enviais à Juliette lorsqu’elle ne distinguait pas en moi un secret trop riche ou trop lourd. Mais par le désespoir, il me semble qu’elle prend maintenant à son compte, en échange, ma lenteur, tant d’idées gaspillées, dont j’éprouve aujourd’hui sévèrement le défaut — et ma première maladresse contre la facilité qu’on prend à mourir.
(Les Feuilles libres, n° 39, avril 1925 - Babylone, Pauvert, 1975)