Jacob Cow, le pirate, par Jean Paulhan
Franz HellensIl y a dans ce petit livre délicieux un jeu apparent de paradoxes qui le fait osciller continuellement entre réalité et rêve. L'apparence du paradoxe est introduite par cette citation, assez inattendue, du P. Botzarro : "J'ai accoutumé de me demander si les mots ne sont pas la chose du monde la moins faite pour parler." Jean Paulhan dit : "Nous n'entendons pas les mots directement, mais suivant le sens que nous leur formons. La présence de l'image dans ce sens révèle un retard, une rupture de l'entente, et comme un court-circuit du langage. De la même façon nous jugeons les écrivains." Je veux citer encore, parce que le livre de Jean Paulhan s'explique par lui-même. Quels sont les auteurs , aujourd'hui, dont on peut dire cela ? Il y en a peu. "Il est difficile de parler des mots de façon détachée, comme un peintre décrit le broyage des couleurs ; ils se mêlent de si près à notre souci de les faire servir que l'on ne distingue jamais très bien où le souci commence et où finit le mot. Cependant, il n'est pas de différence sensible et de fossé du mot à la phrase, de la phrase au récit. Les philosophes remarquent que l'on se peigne et lace ses souliers suivant l'idée que l'on a du monde : l'écrivain, faiseur de langage, c'est en imitant sa première opinion sur le jeu des mots qu'il se prévoit et se compose". Par là même apparaît clairement la pensée de l'auteur et sa dialectique : toutes deux riches, fermes, subtiles sans finesses exagérées ; la pensée choisit ses mots, les place, les déplace, leur donne la teinte qui lui plaît ; choisissant avec sobriété, nuançant avec art. Une partie de l'ouvrage est dédiée à Paul Valéry.
(Article paru dans Le Disque Vert, 1ère année, n° 9, janvier 1922.)