Yolande Fièvre
L'oniroscope
C'est agréable de suivre les mouvements des nuages en tous sens : ceux qui montent, ceux qui descendent, et il y en a même qui ont l'air de tourner sur place. Il arrive qu'au même endroit du ciel les uns montent et les autres descendent : s'enfuient à droite comme à gauche. C'est agréable aussi de regarder une mer agitée. Ou des bulles de savon qui s'envolent sitôt gonflées, de n'importe quel côté. Sans raison apparente. Ou plutôt pour tant de raisons et de vents qu'on renonce vite à les chercher. D'ailleurs les vents ne se voient pas.
C'est agréable, parce que tant d'agitations inexplicables nous donnent le sentiment que nos soucis ordinaires sont un peu frivoles, et nos pensées aussi, et bien sûr nos convictions ; c'est un grand vide qui se pose en nous. Et pourquoi nous le donnent-elles ? Est-ce que nous avions tant de soucis ? On n'en sait rien. Pourquoi sommes-nous contents de nous trouver frivoles ? Est-ce que nous étions trop sérieux ? Est-ce que nous avions rêvé de passer dans la vie sans laisser la plus légère trace ? Nous sommes comme ça.
Avec un peu de sable, deux ou trois fils, une étoile de papier peint, un carton fort et du papier collant, Yolande Fièvre fabrique de curieux jouets, qui font songer à des pics, des rivages polaires, des étendues noires et blanches que survole une montgolfière. Or vous n'avez pas plus tôt pris le jouet en main que le rivage fond en cendre et la montgolfière se change en araignée, sous une cascade de brouillards ; le pic devient renne, cygne, vague, frégate ou bulle.
Car le sable tient à la fois de la mer, et des nuages : changeant comme eux, et comme eux agréable à suivre de l'œil. Le vent, dès qu'il est vif, l'agite et le déporte. Cependant il se défend mieux que vague ou nuages : c'est qu'il est plus gauche et plus lourd. C'est aussi qu'il est retenu dans ses déplacements par toute sorte de racines et de radicelles invisibles, et les sables de Fièvre aussi avancent par soubresauts, de sorte qu'il se mêle à la frivolité on ne sait quel sentiment de courage ou de résistance.
C'est un jeu, auquel on passe volontiers des heures, et je le recommande sincèrement à tous ceux qui n'ont sous la main ni vagues ni nuages.
J'ai parlé d'un jouet. C'est qu'il faut donner aux choses leur nom le plus modeste.
Jean Paulhan, 1957.
Ressources
Œuvres de Yolande Fièvre (site de Nathalie Seroussi)
Expositions :