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Ecrire la Terreur (Sorbonne-Nouvelle, Paris), appel à communication

Jean Paulhan   André Breton   Maurice Blanchot   

Fabula, Antoine Poisson, 4 mars 2023

Écrire la Terreur, XXe-XXIe, Appel à communication
Colloque des 22 et 23 janvier 2024

Bien qu’il en soit un fervent critique, on doit à Paulhan d’avoir institué durablement la notion de « Terreur » dans la théorie littéraire, dans son acception historique et politique. En intitulant la première et seule partie rédigée des Fleurs de Tarbes « La Terreur dans les Lettres », il établit, en effet, une homologie entre l’état d’exception révolutionnaire ayant eu cours entre 1793 et 1794, et le régime moderne de la littérature, rejetant la législation rhétoricienne au nom d’une révolution permanente du langage.

Si la formulation est neuve, Paulhan s’appuie néanmoins sur la critique déjà ancienne des détracteurs du romantisme qui, dès les années 1830, accusaient Hugo et les jeunes romantiques d’accomplir un « 93 littéraire » en déclarant la « guerre à la rhétorique » (« Réponse à un acte d’accusation », 1856). Hugo retourne cette critique : non seulement il assume l’héritage entier de la Révolution française en redéfinissant la Terreur comme une étape nécessaire dans la téléologie du Progrès, mais de surcroît, il affirme la nécessité d’une poétique terroriste ou d’une Terreur poétique qui permette de démanteler l’édifice classique de la hiérarchie des genres et des styles. Pour le poète qui s’exclame « je suis ce Danton ! Je suis ce Robespierre ! », il ne s’agit pas là que d’une métaphore, mais d’une véritable politique de la littérature : la révolution romantique doit être la continuation et l’accomplissement de la Révolution sociale, « 1789 aussi bien que 1793 » (William Shakespeare, 1864).

Il faut pourtant attendre le XXe siècle pour voir la Terreur élevée en véritable catégorie esthétique, tantôt promue par les artisans d’une révolution poétique et politique radicale, tantôt décriée par les contempteurs d’une tyrannie de l’originalité et de l’innovation littéraire. D’un côté, Dada et les Surréalistes, les premiers, rejouent les édits de fructidor. Breton déclare ainsi : « Il ne serait pas mauvais qu’on rétablît pour l’esprit les lois de la Terreur » (« Caractères de l’évolution moderne », 1922). Le lien entre la révolution dans les Lettres et le changement complet de l’existence, rêvé par les avant-gardes, se fait sous l’égide de Robespierre, Saint-Just « Le Divin bourreau » et 93, dont l’action radicale fournit le modèle d’une expérience destructrice des limites de la morale (mort, sexualité, absence de Dieu), de la pensée logique et du langage commun soumis aux conventions. Bataille, et plus encore Blanchot (« La littérature et le droit à la mort », 1949), résumeront parfaitement la situation : la littérature est éminemment politique et révolutionnaire, précisément parce qu’elle est la Terreur par les lettres, un événement pur de création libre fondé dans la mise à mort du monde par le langage.

Or, d’un autre côté, Paulhan dénonce cette pureté linguistique comme misologie et impossible construction d’un espace communicationnel. De même, après-guerre, Sartre comme Camus regrette d’avoir « grandi dans la Terreur » et appelle à la fin de l’incommunicable. La littérature doit renouer avec l’humanité blessée par l’autre terreur, celle du Reich et de la Collaboration ; et on ne s’étonnera donc pas que, dans cette génération, Camus donne pour premier titre à son roman oranais La Terreur. Durant la seconde moitié du XXe siècle, il reviendra au Nouveau Roman puis, plus tard, à Tel Quel, de proposer une solution de conciliation entre la logique terroriste de l’avant-garde littéraire et le projet d’une communauté humaine, avant que la chute de l’URSS et la déroute des récits téléologiques n’invalide le folklore révolutionnaire conventionnel.

Reste que la Terreur survit aujourd’hui comme « métaphore vive », au sein des écritures engagées dans les luttes du XXIe siècle. Ainsi, les revendications politiques du féminisme et du postcolonialisme ont lieu avant tout dans la représentation et le langage. De même, au sein des réflexions poéticiennes modernes, la défense d’une « illisibilité » de la poésie contemporaine (Vinclair, Prise de vers, 2019) semble un héritage direct de ce qui jadis prit le nom de « Terreur dans les Lettres ».

Le présent colloque entend réévaluer cette catégorie de la Terreur forgée par Paulhan et mesurer sa pertinence dans l’intelligibilité des rapports entre poétiques et politique dans la littérature des XXe et XXIe siècles. On s’interrogera sur la place et le rôle du « folklore terroriste » dans les projets poético-politiques des avant-gardes du XXe siècle (les surréalistes, qui convoquent les figures de la Terreur, ou Péguy voulant « refaire 93 », entre autres) ? Cette iconographie trouve-t-elle des résonances dans la littérature contemporaine ? Ou du moins, peut-on envisager une mémoire littéraire de la Terreur, dont la forme varie dans l’histoire récente, depuis Les Dieux ont soif d’Anatole France à 14 juillet d’Éric Vuillard ? On questionnera aussi les conditions par lesquelles une esthétique peut apparaître comme terrorisante. S’agit-il de motifs-limites (mort, sexualité, absolu, fascisme) ? Ou de choix formels défaisant les conventions de production du sens ? Ou encore de modalités d’action revendiquées dans la création des œuvres comme dans leur réception (la terreur féministe, la terreur décoloniale, etc.) ?

De manière générale, ce colloque souhaite mieux circonscrire la conception de la Terreur comme horizon politique de la littérature, et par-là dépasser peut-être une lecture tenace qui oppose encore poésie terroriste et roman démocratique.


Voir Calendrier et conditions de soumission dans l'article original, qui propose par ailleurs une intéressante bibliographie indicative.


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