Sur les contes
Jean Paulhan(Cette lettre est extraite de la Correspondance Marc Bernard & Jean Paulhan, 1928-1968), parue aux éditions Claire Paulhan.
Mon petit Marc,
Naturellement, je voudrais bien que chaque conte laisse un petit choc (comme les maîtres du zen vous allongent au bon moment un coup de pied dans les jambes).
Quand on voit les choses pour la première fois, c'est admis qu'on les voit mieux (ce "mieux" veut dire, j'en ai peur, en plus imagé, en plus surprenant — en plus littéraire). Eh bien, c'est d'abord un sentiment très agréable (surtout si l'on est littérateur).
Puis, est-ce qu'il ne vient pas (de ce sentiment même) une sorte d'anxiété ou de fatigue : "Mais enfin, ce que je vois, ça n'est pas la bâtisse, ni les feuilles, ni la tour (puisque ça n'y sera plus demain), ce que je vois, c'est, si l'on peut dire, la première fois elle-même."
Enfin, tu vois en quel sens...
Je vous embrasse tous deux,
(1950)