L'espoir et le silence
Jean PaulhanCe n'est pas d'aujourd'hui qu'il est question, dans ces pages, de la dictature de la France sur les Français. Et notre espoir a moins que jamais besoin d'explications, dans ces journées sévères où il devient une flamme. Qui se refuserait pourtant aux raisons, qui peuvent l'assurer et le nourrir ?
Certes, l'une des plus grandes forces que le monde ait vues s'est dressée contre nous. Prenez garde, cependant, que c'est une force joyeuse, élevée pour le pillage et pour la victoire. Un échec doit la déconcerter : tout laisse croire que sa résistance est inégale à son attaque, sa défense à son offense.
Mais nous, nous voici en face d'elle, avec cet abîme derrière nous : le bagne et l'esclavage égaux pour l'ouvrier, pour le paysan, pour le bourgeois. Acculés à l'invention et au génie. Ce n'est pas là pour nous inquiéter. “Que les généraux, disait Moréas, fassent leur métier comme je fais le mien.” Par chance, nous connaissons le métier de nos généraux d'à présent. Il passe encore celui de Moréas. Contraints d'espérer, ce serait peu. Contraints aussi de ressembler à cet autre espoir que mettent en nous dix peuples torturés, dont les uns souffrent silencieux, et les autres se battent en héros. Dix peuples torturés, et vingt peuples encore libres. Du pape Pie XII au président Roosevelt, et de l'Amérique espagnole à l'Amérique latine, il se forme, autour des Alliés, une seconde Alliance des Justes. Un peu inerte encore, sans doute. Mais nous-mêmes, n'avons-nous pas été longtemps inertes ? Voici du moins la récompense imméritée de trop de patience ou de paresse : c'est qu'enfin notre ennemi a dû prendre sur lui tous les torts — la violence, mais l'hypocrisie ; la fourberie, mais la cruauté. Et ceux-là mêmes qui auraient peut-être sa force reculent devant sa mauvaise foi. A quel espoir nous refuser ? Je dirai l'un des plus grands, qui est politique. Certes, notre république semble avoir avoué, depuis vingt ans, tous les vices dont ses adversaires lui font grief. Pourtant nous nous battons pour quelque chose qui ressemble à la République : pour la liberté des personnes, contre la servitude volontaire. En vérité, le problème a des termes si clairs qu'il serait fou de ne point espérer une réconciliation française, si chacun de nous, dès aujourd'hui, le pose et s'essaie à le résoudre, dans son secret. Dans son silence.
Ce silence n'est pas moins dû à nos amis qui se battent dans les flammes, et pour qui, il n'est pas d'autre mot, nous prions.
Juin 1940.
(Jean Paulhan, O.C., Tchou)