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première page du premier numéro des Lettres françaises, 1942

Les Pendus de Nîmes

Jean Paulhan

Cinquante garçons du maquis cévenol se rendent en camion à l'Aigoual, où ils voudraient établir un camp. Ils repèrent dans la matinée le terrain, font leurs plans et vers deux heures de l'après-midi se disposent à repartir. Mais quinze d'entre eux, qui sont de Saint-Hyppolite du Fort, projettent d'aller, au passage, embrasser leurs parents. On téléphone donc à la poste de Saint-Hyppolite : "il n'y a pas d'occupants dans les environs ?" — "Pas un" répond le postier. Mais un autre postier qui a tout entendu, avertit le poste allemand de [auvre]. Quand les camions du maquis arrivent, une heure et demie plus tard, ils tombent dans une embuscade, tendue à l'entrée du village. Les maquisards se défendent, tuent deux ennemis, perdent cinq des leurs, puis s'égaillent dans les maisons de la ville basse. C'est alors que commence la chasse à l'homme. Plus de deux cents allemands, arrivés entre temps, visitent Saint-Hyppolite, maison par maison. Vingt et un garçons du maquis sont faits prisonniers. Tous devaient être pendus à Nîmes, trois jours plus tard.
Un ami des Lettres Françaises assistait aux exécutions du pont de la route de Lassalle : à l'un des condamnés, gravement blessé, l'on avait dû faire, pour qu'il pût marcher, deux piqûres de morphine : une corde cassa, et le pendu alla s'écraser sur le lit à sec de la rivière. Un sous-officier l'acheva d'une balle dans la nuque, puis on le remonta sur le pont et on le rependit.
La Préfecture de Nîmes annonça, deux jours plus tard, que le commandant responsable de l'exécution, avait été cassé et fusillé. Personne n'en crut rien.

(Texte publié dans Les Lettres françaises n° XVI, mai 1944, n. p.)