Les illusions des psychologues, par G. Sergi, 1905
Jean PaulhanCompte-rendu de lecture paru dans le Journal de Psychologie normale et pathologique, Tome II, 1905, p. 248. Voir l'original dans Gallica
in : Etudes générales, théories, méthodes, appareils
(133) — Les illusions des psychologues, par G. Sergi (Rome). Archives de psychologie, t. IV, n° 14, novembre 1904.
Une foule d'illusions sont nées, en psychologie et en psychiatrie, du sens erroné que les savants attribuent aux mots de conscience et de volonté. S. indique et critique quelques-unes de ces illusions.
La conscience n'est que la révélation d'un phénomène psychique ; elle n'est, dès lors, ni une substance, ni une qualité, ni même un état d'âme, elle est seulement la forme révélatrice du phénomène, et sa présence même n'est pas toujours nécessaire. Pourtant, presque tous les psychologues la considèrent comme un caractère nécessaire et permanent des faits mentaux. Parfois même on la traite comme une activité organisatrice des faits psychiques. Une autre illusion de même nature consiste à considérer la conscience comme une substance spéciale existant en soi, indépendante de l'organisme et dont l'individualité et l'autonomie nous seraient données avec la pensée et le sentiment intérieur de nos faits psychiques. Or, cela est absurde. La méthode introspective elle-même montre que les phénomènes psychiques n'ont pas un caractère d'activité imputable à l'individu : une foule d'idées ou de pensées, de représentations d'actes surgissent sans cesse passivement en nous, que nous le voulions ou non.
Il résulte de cette remarque que quand les psychologues et les psychiatres affirment qu'un individu a agi en pleine conscience parce que sa raison est intacte et ses paroles normales, ils commettent une erreur de jugement ; car cela reviendrait à admettre que l'acte de penser et les autres opérations intellectuelles semblables sont les manifestations d'une activité consciente. La conscience devient ainsi une énergie créant la pensée et le raisonnement. Or, s'il en était ainsi, l'homme non seulement saurait par avance ce qu'il pensera, mais il créerait même sa pensée quand et comme il lui plairait, ce qui est absurde.
S. passe ensuite à l'analyse des illusions qui se rapportent à la volonté. Les déterministes comme les partisans du libre-arbitre considèrent tous, dans la pratique, l'énergie volitive comme une énergie en soi. Ils prêtent tous deux à l'individu qui a accompli une action la volonté consciente, comme si, avant d'agir, il avait su ce qu'il allait faire et comme s'il s'était déterminé à l'action par cette énergie volitive, autonome, et consciente d'elle-même.
Il n'y a là qu'une illusion. Nous n'avons jamais, comme formes primordiales de vie que l'action et la réaction, la sensation et le mouvement. Il arrive que l'action n'est pas immédiatement suivie de réaction ; le sentiment original se maintient alors, mais tend toujours à passer à l'acte. C'est le cas du désir. Et toutes les séries de mouvements possibles ne seront dès lors que des formes de réaction simples, ou des moyens en vue d'une réaction plus complexe sous l'impulsion persistante d'un désir ou d'un sentiment tenace. Rien ne nous oblige à introduire ici la notion de volonté.
S. critique de ce point de vue la conception courante de la préméditation, du contrôle et du frein de nos actions. Il condamne brièvement la théorie des centres nerveux inhibiteurs et volontaires, incompréhensible si l'on veut bannir de la psychologie les entités qu'elle a directement empruntées à l'ancien spiritualisme.
Jean PAULHAN.