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couverture du Journal de Psychologie normale et pathologique

La faculté d'orientation lointaine, par Ed. Claparède, 1904

Jean Paulhan

Compte-rendu de lecture paru dans le Journal de Psychologie normale et pathologique, Tome I, 1904, p. 79-81.   Voir l'original dans Gallica

in : IX. Psychologie zoologique et psychologie comparée
(46) — La faculté d'orientation lointaine, par ED. CLAPARÈDE (Genève).
Extrait des Archives de Psychologie, t. II, n° 6. Mars 1903. (1 broch. 46 p. avec bibliographie.)

Poser le problème de la faculté d'orientation lointaine dans toute sa complexité, indiquer, sans passer à la discussion générale des théories, les expériences les plus précises qui leur ont donné naissance, tout en soulignant les lacunes qu'elles laissent subsister, tel a été le but de l'auteur et son travail ne vise qu'à être une sorte de mise au point de la question.

Les théories sur la faculté d'orientation sont rapidement rappelées. Les faits nous apprendront les problèmes à résoudre : deux cas seulement, remarquons-le, pourront poser d'une manière pressante, nécessitant des hypothèses spéciales (contre-pied, magnétisme, etc.), le problème de l'orientation lointaine : le cas où le but serait déjà connu, mais non perceptible, et sans point de repère pouvant aider à le retrouver, et, en second lieu, le cas où le but étant inconnu et non perceptible, aucun excitant intermédiaire ne pourrait renseigner, à différents moments, sur la direction à suivre.

Les faits. — I. Tout d'abord le but peut-il être inconnu, ou la faculté d'orientation se réduit-elle, dans tous les cas, au sens du retour ? Sur ce point, rien ne nous permet encore de conclure et l'auteur se borne à indiquer quelles sont les expériences qu'il serait nécessaire d'instituer.

il. Passons à la question relative au chemin parcouru pour atteindre un but donné. Tantôt l'animal emmené au loin revient par la route qu'il a suivie à l'aller (exp. de Regnaud). Tantôt au contraire c'est par un chemin différent qui se trouve parfois être la ligne droite (exp. Vineq, Valade, Fabre, etc.) : d'où semble résulter l'insuffisance de la théorie du contre-pied qui veut expliquer le retour, dans tous les cas, par une faculté d'enregistrer les diverses directions suivies à l'aller. Des expériences probantes pourraient d'ailleurs être instituées sur cette théorie à la condition de placer les animaux dans un lieu qui leur soit inconnu, où ils ne puissent trouver aucun point de repère visuel ou olfactif. Mais l'inutilité de pareils points de repère n'est pas encore démontrée et C. est ainsi amené à rechercher leur rôle dans le retour au gîte.

Sur cette question, et après avoir examiné les expériences relatives au rôle des rayons lumineux dans l'orientation, l'auteur distingue et examine à part les observations faites sur les fourmis, sur les abeilles et les guêpes, enfin sur les pigeons.

L'orientation implique, chez les fourmis, deux problèmes distincts : 1° de quelle nature sont les points de repère qui jalonnent la route suivie ? 2° comment est indiquée la direction dans laquelle se trouve la fourmilière ? (placée sur un point quelconque de la route qui va au nid, la fourmi ne se trompe jamais et prend toujours la direction dans laquelle elle trouvera sa fourmilière (exp. de Forel).

Sur le premier point, il semble que les points de repère soient tantôt perçus par la vue (Fabre), tantôt par l'odorat (Wasman-Forel) ou par les deux à la fois, suivant les espèces. Privées d'antennes, certaines fourmis se perdent ; privées d'yeux, elles retrouvent encore leur chemin, mais plus difficilement (exp. de Forel). Mais comment une trace olfactive peut-elle indiquer une direction ? C'est là la seconde question. Parmi les théories qui prétendent la résoudre, l'auteur cite celle de Bethe pour qui les fourmis laissent derrière elles une trace chimique, polarisée, celle de Forel pour qui les fourmis, se créant, grâce à l'organe antennaire, toute une topographie de nature chimique, reconnaissent au retour la « forme » olfactive des points touchés à l'aller par leurs antennes. Peut-être aussi la décroissance du parfum de nid dont la piste est imprégnée, décroissance qui augmente à mesure que l'on se rapproche de la fourmilière, peut-elle servir à guider la fourmi ?

Pour les abeilles et les guêpes, la connaissance des lieux paraît tenir une grande place dans l'orientation. Lâchées en pays inconnu, les abeilles ne reviennent pas (exp. de Fabre, Romanes, Yung). Les points de repère paraissent surtout de nature visuelle. Des souvenirs moteurs ou kinesthésiques viennent sans doute s'y ajouter. Il est encore impossible d'établir, par des expériences suffisamment scientifiques, si le pigeon peut se passer de points de repère pour regagner son domicile. Les souvenirs visuels paraissent, dans beaucoup de cas, d'une réelle importance : les pigeons voyageurs ne sont éduqués que par étapes progressives ; le jeune pigeon, d'autre part, ne peut revenir à son colombier que s'il en connaît parfaitement l'aspect extérieur. A quatre lieues de leur colombier, des pigeons aveugles, autrefois bons messagers, se perdent (exp. de Hodge, Rodenbach, Hachet-Souplet).

Restant dans le domaine des faits, C. examine encore rapidement les questions de l'importance des vents ou des états atmosphériques pour l'orientation, l'hypothèse du magnétisme (d'après laquelle certains animaux posséderaient un sens apte à percevoir la direction du ou des courants magnétiques terrestres), les cas de renversement de l'orientation. Sur tous ces points il ne semble pas qu'une conclusion définitive puisse encore être apportée : l'interprétation immédiate des faits laisse encore trop à désirer, la même observation pouvant prendre un sens tout différent suivant le plus ou moins d'intelligence qu'on accorde à l'animal observé. Aucune théorie, d'autre part, ne semble entièrement satisfaisante : l'hypothèse de la mémoire topographique, celle du contre-pied ne peuvent expliquer les cas de migration en pays inconnu. Il n'y a d'ailleurs pas de raison pour s'en tenir à une théorie exclusive et il est fort probable que l'animal, comme nous le faisons nous-mêmes, utilise toutes les données possibles pour retrouver son chemin.

J. PAULHAN.