Notice des contributions au Journal de Psychologie normale et pathologique
Bernard BaillaudGeorges Dumas
Lors de sa parution en janvier 1904, le Journal de Psychologie normale et pathologique (1904-1986) est dirigé par Pierre Janet (1859-1947, professeur au Collège de France, et Georges Dumas (1866-1946), chargé de cours à la Sorbonne. Les textes de Paulhan publiés au Journal de Psychologie normale et pathologique entre 1904 et 1909 ne sont pas remarquables pour leur valeur littéraire. Ils émanent d'un étudiant en devenir et ne sont que les témoignages d'une activité seconde, celle du compte-rendu de lecture dans une revue savante dominée par les universitaires. Au reste, Paulhan qui ne disposait pas de ces textes, ne les a pas retenus, au moment de la mise en forme de l'édition Tchou. Les exclure complètement aurait pourtant constitué, à nos yeux, une lacune dommageable, et d'abord pour des raisons chronologiques, puisque c'est là que sont apparus pour la première fois, en 1903, sur la fatigue, des textes signés dde Jean Paulhan. Ni la fatigue ni l'aphasie, n le somnambulisme ni même les rythmes scolaires ne sont ensuite des thèmes littérairement indifférents. Enfin, il n'est pas tant d'écrivains — ou de futurs écrivains — français à avoir parlé de Freud en 1907 : il n'y en eu simplement, à notre connaissance, aucun autre.
C'est cette année-là que C. G. Jung crée à Zürich la Société pour la Recherche freudienne (Gesellschaft für freudische Forschung, présidée par Bleuler, et qui réunit Ludwig Binswanger, Franz Riklin, Édouard Claparède et précisément Alphonse Maeder. Elle sera dissoute en 1913. C'est donc par le biais jungien que Paulhan prend connaissance de ce que l'on appelle alors la psychoanalyse. Le fait est d'autant plus remarquable q'il s'agit déjà d'un épitomé de la pensée freudienne, repris de Maeder (1882-1971), médecin-assistant à l'asile suisse des épileptiques de Zürich. Après Freud, Alphone Maeder définit le rêve, non pas comme une activité mentale désordonnée, mais comme le résultat de deux forces mentales antagonistes, un désir, presque toujours refoulé, et une censure qui l'arrête au passage pour le modifier selon ses exigences. Distinction du rêve, tel qu'il est, et de son matériel, beaucoup plus riche que lui, condensation, déplacement ou transfert, dramatisation enfin, tout y est. Mais Paulhan par la suite ne cherchera pas le moins du monde à tirer avantage de cette antériorité. Il semble même qu'ayant été d'abord parmi les tout premiers à parler des travaux de Freud, il s'en soit ensuite détourné, comme si cette question, pour lui, était caduque, quand la plupart de ses contemporains affectaient de découvrir la psychanalyse.
En 1913 encore, Le Spectateur parle de l'existence d'une sorte d'idée inconsciente, révélée par une maladresse dans la conversation, et mentionne Der Witz une seine Beziehung zum Unbewussten — mais c'est dans la rubrique des "Variétés humoristiques". Il en donne cependant quelques pages plus loin le compte rendu suivant :
Sig. Freud : Der Witz und seine Beziehung zum Unbewussten, Leipzig et Vienne, Deuticke, 1912, 5 M. ou 6 K.
Ce travail sur l'esprit, ou plus précisément sur l'esprit de mot (Witz signifie à la fois mot d'esprit et esprit de mot), se rattache aux célèbres théories de Freud sur le rôle de l'inconscient dans la vie mentale. Les tendances inconscientes de notre être, qui se développent de façon décisive pendant notre petite enfance, et spécialement dans l'ordre sexuel, puis doivent, au cours de la vie sociale, être toujours "refoulées" (verdrängt) conformément à la morale, aux convenances, cherchent sans cesse obscurément à s'ouvrir un passage vers le dehors, à s'exprimer de quelque façon. Que la raison relâche son contrôle ou l'abdique, comme elle le fait dans le sommeil, ces tendances s'exprimeront par le rêve, et c'est ce que Freud démontre dans sa Traumdeutung. Que, dans la conversation ou le travail intellectuel, l'attention se relâche un instant, les lapsus les moins significatifs en apparence pourront se rattacher à ces mêmes tendances, et c'est ce qu'explique la Psychopathologie des Alltagsleben. Enfin, plus intentionnellement peut-être mais sous le couvert d'une attitude de plaisanterie, c'est encore là le processus du mot d'esprit, étudié dans l'ouvrage signalé ici. — Et même le processus acquiert une importance plus grande, de ce qu'il ne reste pas individuel, mais devient social : le mot d'esprit, — et l'histoire confirme le fait par de nombreux témoignages, — devient un moyen de révolte contre l'autorité. — Quoi qu'on puisse penser de l'ensemble de la théorie de Freud et de l'école de "psychoanalyse" qu'il a fondée, ce livre fournit pour un travail comme celui dont nos "Variétés humoristiques" peuvent suggérer l'idée une classification très riche et très ingénieuse. Certains problèmes particuliers donnent lieu à de fines analyses.
(Texte reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur)