aller directement au contenu principal

Entretien avec Jean-Claude Zylberstein, sur Jean Paulhan

Jean-Claude Zylberstein

ITW : Jean-Claude Zylberstein, bonjour et merci de nous recevoir dans votre cabinet d'avocats pour nous parler de Jean Paulhan. Je rappelle que vous êtes un homme aussi à multiples facettes, vous êtes éditeur, un inlassable défricheur de textes et un immense lecteur. Ce que nous aimerions savoir aujourd'hui, c'est quelles sont les circonstances particulières qui vous ont menées à la rencontre de Jean Paulhan ?

JCZ : Écoutez, elles sont un petit peu, rétrospectivement, je les trouve... ridicules — c'est trop fort. Mais comment dire ? Elles sont paulhaniennes, un peu bizarres, "Paulhan au jardin d'acclimatation". Alors, pour moi, comment ça se traduit ? J'étais déjà fasciné à l'époque, je devais déjà avoir l'esprit de collection, comme on me l'a dit par la suite, une étiquette qu'on m'a collée et que j'assume tout à fait, et j'aimais déjà beaucoup les catalogues. Aujourd'hui, c'est plutôt les catalogues d'exposition, à l'époque, c'était les catalogues d'éditeurs, et pour ce qui est de ma carrière entre guillemets "d'éditeur" ou de "directeur de collection", ça m'a beaucoup servi d'avoir une collection de catalogues.
Et j'avais notamment, et c'était une sorte de Bible pour moi, le catalogue des éditions de la NRF, où j'avais souligné avec des croix, des crayons de couleurs, les livres que j'avais lus, les livres que j'avais envie de lire, les auteurs que je connaissais bien, les auteurs que je connaissais pas, et j'ai une bonne mémoire visuelle, et j'avais filmé en quelque sorte, comme vous êtes en train de le faire, la page Paulhan, où il y avait, comme vous le savez aussi bien que moi, notamment ce titre, a priori un peu mystérieux, FF ou le critique.
Là-dessus, je m'en vais dîner, mais je n'avais à l'époque rien lu de Paulhan, simplement, c'est à la base de ce qui va suivre. Je pars dîner chez un ami.

ITW : Vous êtes un tout jeune homme à l'époque ?

JCZ : Oui, j'ai 23 ans. Et cet ami était affligé d'une petite amie, une copine, qui avait la langue bien pendue et l'esprit très critique. Et pendant tout le dîner, elle... comme on dit aujourd'hui, elle habille pour l'hiver plusieurs des personnes que nous connaissions en commun, mais qui n'étaient pas autour de la table, comme Paulhan pourrait le dire. Et je lui dis, flash typographique, elle s'appelait Françoise, et un nom de famille qui commence aussi par F, imaginons, Françoise Forestier, et donc je me crois malin, et je lui dis "FF ne soit pas si critique". Le père de mon ami, Jean Latais, si ça s'appelle Jean Latais, c'était un remarquable photographe, prend la balle au bond et me dit, Jean-Claude, est-ce que tu as lu au moins le texte de Paulhan auquel tu viens de faire allusion ? Je lui dis non pas, mais ça m'a intrigué. Il m'a dit, sur l'activité de critique, il faut, puisque tu fais de la critique par ailleurs en jazz, mais peu importe, il faut que tu lises ça. Je rentre chez moi, et je me souviens que, six ans plus tôt, j'ai acheté deux numéros de la NRF, les seuls, et pourquoi ? Parce qu'il s'y trouvait une nouvelle de Mandiargues, un peu érotique, intitulée dans la NRF Vanina, ça a donné par la suite Le Lys de mer, à l'époque les lectures érotiques n'étaient pas courantes, je ne connaissais pas encore Histoire d'O, et je me dis, mais tiens, il y avait, dans un des deux numéros, le second, celui de novembre 1956, un texte de ce Paulhan dont les trois premières lignes à l'époque m'avaient découragé. Donc je retrouve assez aisément le fameux numéro de novembre 1956 de la NRF, et je me mets à lire la Lettre à un jeune partisan. Et là, là encore je paraphrase peut-être un peu ce qu'aurait pu dire Paulhan, choc zen, le ciel s'entrouvre, les lumières s'allument, et la vie devient moins obscure. Et je comprends, enfin c'est l'école du relativisme, je comprends que je n'ai pas besoin de chercher, comme je le faisais à l'époque, à décider si je devais plutôt aller m'inscrire au parti communiste, ou si je devais m'inscrire dans la filière existentialiste de Sartre, mais que avoir comme c'était mon cas, je vais essayer d'être poli, les fesses entre deux chaises, c'est aussi une situation, puisque comme le dit Paulhan dans la fameuse lettre, il est démocrate le matin, aristocrate quand il décide d'aller au théâtre voir une pièce de Shakespeare, Shakespeare le meilleur pour ne vexer personne, et ensuite homme de droite au moment où un incendie se déclare dans le théâtre et qu'un homme plus grand et à la voie plus forte que les autres fait évacuer la salle au moment où il commence à y avoir une panique et ajoute Paulhan, vous vous en souvenez aussi, "il n'y a que deux ou trois femmes de carbonisées, pas la vôtre", dit-il à son interlocuteur imaginaire. Et ce texte pour moi a vraiment été une sorte de libération intellectuelle et je me suis dit mais ce type est génial, c'est formidable, qu'est-ce qu'il a écrit d'autre ? Donc je vais sans doute quelques jours plus tard chez mon petit libraire de quartier, les Trois Mousquetaires boulevard Voltaire, et je vois en tout et pour tout, un tout petit bouquin, Braque le patron, oui bon, rue de la Boétie, un tableau avec des poissons, et puis les Fleurs de Tarbes, et à première lecture des Fleurs de Tarbes, je capitule. Et je me dis mais il a quand même dû écrire autre chose, mais on trouve rien à librairie. Et donc plutôt que d'aller au cours de droit ou de médecine, je ne sais plus ce que je faisais à l'époque, je commence à la bibliothèque Sainte-Geneviève notamment, à chercher dans les fichiers, nous n'avions pas internet à l'époque, les textes de Paulhan que je peux trouver. Et je vois des préfaces, des textes de catalogue, des articles dans la NRF, et donc je me mets à collectionner tout ça comme on pouvait le faire à l'époque. Et puis, de plus en plus, intellectuellement séduit par cette pensée que je ne vais pas décrire ici, que vous connaissez comme moi. Et puis, à un moment, je tombe sur, il y a un cahier, un numéro spécial des Cahiers des Saisons consacrés à Paulhan, je me dis ça, cahiers, un numéro spécial consacré à Paulhan, il faut que je le lise, introuvable. Et je commençais quand même à avoir quelques idées.

ITW : les Cahiers des saisons de Jacques Brenner ?

JCZ : Voilà ! Je décide d'aller rue de l'université au siège, je téléphone sans doute, et on me dit oui, il y a la collection, vous pouvez venir la consulter sur place. Donc je me rends rue de l'université, au rez de chaussée, et on me dit, tiens, M. Brenner est là, on lui a dit que vous vouliez voir le Cahier Paulhan, donc il a dit que si vous voulez, vous pouvez le rencontrer. Donc je rentre dans le grand bureau de Brenner qui fumait sa pipe avec son chien à ses pieds, et il me dit, alors comme ça, vous vous intéressez à Paulhan, enfin quand même, c'est vraiment un survivant des monts lointains. Je lui dis, écoutez, oui, c'est quand il me dit que vous avez tout à fait raison, c'est vrai que c'est un peu paradoxal d'apparence, mais c'est une œuvre intéressante, et me dit-il, vous êtes sans doute dans la nouvelle génération — donc j'avais 23, 24 ans — l'un des rares que je rencontre qui s'intéresse à Paulhan, vous devriez aller le voir en lui expliquant que vous faites cette bibliographie, et puis aller voir aussi Yves Berger qui prépare les œuvres complètes. Donc dans un premier temps, je crois que je vais voir Yves Berger, qui m'accueille très gentiment, à qui je montre ma bibliographie, qui me dit, "c'est formidable cela, vous avez fait un travail extraordinaire, ça m'est très utile, et quand le premier tome des œuvres complètes sortira, je vous le ferai envoyer".

Et puis là-dessus, je vais voir Paulhan, je téléphone rue des arènes, on me donne le numéro, j'entends la voix d'une vieille dame qui me dit "allô", alors je dis "bonjour madame, je voudrais parler à monsieur Jean Paulhan", "c'est moi", bon, voilà, écoutez, Jacques Brenner, Cahiers des Saisons, m'a dit, comme je m'intéresse à ce que vous écrivez, est-ce que je pourrais venir vous voir ?

  • Venez me voir à la NRF.

Bon, rendez-vous fixé, je vais à la NRF, le bureau de la NRF, c'était quelque chose, une sorte d'Église, il y avait une atmosphère impressionnante, parce que silencieuse. Dominique, avec ses jolies jambes devant son bureau, Paulhan devant la fenêtre, les deux grands bureaux, et Arland de l'autre côté, Arland lisant, Dominique le nez plongé, et vous, enfin moi, au cas d'espèce, face à Paulhan qui me dit, qui s'attendait à ce que je lui apporte un manuscrit, comme la majorité des gens, alors il me dit "vous écrivez ?", je lui dis non. "Ah bon, et alors c'est pourquoi ?" je lui dis "voilà, non je m'intéresse beaucoup à ce que vous faites, parce qu'on ne trouve pas beaucoup vos livres", "ah bon", dit-il, et puis je ne savais pas très bien quoi dire, et je finis par lui dire, oui, je ne sais même plus comment j'ai réussi en arriver à lui dire, "voilà j'ai deux petites amis, et je ne sais pas laquelle choisir, j'ai pensé que vous pourriez me conseiller". Alors je pense, il s'est dit, ça c'est une blague de journaliste, c'est un canular, on est en train de me piéger, donc il m'a dit bon très bien, écoutez je vais réfléchir, quelle est votre adresse ? et quelques jours après, j'ai reçu un de ses livres les plus mystificateurs, Les Causes célèbres, avec cette dédicace, prétendument tirée des Upanishad, "pour Jean-Claude Zylberstein", avec la belle écriture que l'on connaît,

"on trouve son salut là où on croyait trouver sa perte,
et sa perte là où on croyait trouver son salut
",

Avec ça je suis bien avancé, pour choisir une petite amie, fin du premier acte, et je continue sans doute un petit peu, enfin je faisais autre chose quand même, à compléter ma bibliographie, et puis je vois dans le journal, sans doute un journal du dimanche, on annonce la publication du premier tome des œuvres complètes, au cercle du livre précieux. Donc à nouveau je fais preuve d'un peu d'initiative, et je téléphone au cercle du livre précieux en me disant allô, je voudrais parler à la personne qui s'occupe des œuvres complètes de Paulhan, et on me passe Pierre Oster, et je dis bonjour monsieur, voilà, je suis Jean-Claude Zylberstein, j'ai donné ma bibliographie à monsieur Yves Berger, qui m'a dit que lorsque le premier tome allait sortir, je recevrai un exemplaire, donc voilà, j'attends, oh, me dit Pierre, vous tombez bien, Yves Berger a renoncé à s'occuper des œuvres complètes, et on vient de recevoir cinq cartons, avec des livres, des opuscules, des photocopies, des choses comme ça, dans le plus grand désordre, si vous avez fait une bibliographie, venez donc nous voir. Donc je suis allé au cercle du livre précieux, où j'ai été reçu très gentiment par Pierre Oster, avec le double de ma bibliographie, et qui m'a dit tout à trac, pratiquement tout de suite, voulez-vous vous occuper des œuvres complètes avec moi, procéder au classement, on a un plan, mais on sait pas très bien comment, et vous avez apparemment, vous, de votre côté, plein de choses que nous n'avons pas dans les fameux cartons. Alors à la suite de ça, — ça, ça devait se situer quand même un an, environ, après le premier épisode, où je suis allé voir Paulhan et Brenner — donc on m'a emmené, je crois, avec Pierre Oster, je suis allé à Boissise, et je suis devenu très vite un familier de Paulhan, et cela d'autant plus que j'avais une situation matérielle très handicapée à l'époque, j'avais abandonné médecine pour commencer le droit, qui ne m'enchantait pas plus que ça, parce que j'étais déjà plus qu'atttiré, enfin, happé, par la musique, les livres, et aussi les jeunes filles, comme j'ai coutume de le dire aujourd'hui, avec l'impudeur des vieillards, et mes parents, évidemment, n'appréciaient pas beaucoup la situation, de sorte que je suis allé vivre rue des arènes pendant quelques mois. En contrepartie, je classais la bibliothèque de Jean, qui était restée dans un état de désordre assez grand, notamment ce qui m'a permis de retrouver un certain nombre de textes qui ont été utiles aux œuvres complètes. Je peux continuer, mais vous avez peut-être des questions...

ITW : Vous voilà donc Jean-Claude Zylberstein, un jeune homme entré dans la maison de la rue des arènes. Vous côtoyez donc Jean Paulhan tous les jours. Est-ce que vous pouvez nous dire comment ça se passe ? Est-ce que Germaine Paulhan vous l'avez connu donc également ?

JCZ : Ecoutez, Germaine, je suis rentré une seule fois dans la chambre et elle était allitée. Mais sans plus, je lui ai jamais parlé. Je crois qu'il y a que Jean qui lui parlait. Je crois que même Jacqueline, dans ces années-là, ne devait plus avoir de contact utile. Je ne sais pas comment ça se passait. Mais je ne voyais pas Paulhan tous les jours, dans la mesure où il allait déjà, on doit être en 66, il allait déjà, ou 65, il allait déjà beaucoup à Boissise. Il s'était fâché avec Gaston, il n'allait plus chez Gallimard. Ce que j'ai oublié tout à l'heure, c'est que, simplement, son élection à l'Académie, c'est 64. Et sa réception à l'Académie, 65 ? Je ne sais plus comment j'avais été invité à la fois à l'Académie et à l'hôtel Meurice. Je ne sais plus par quel... est-ce que c'était grâce à Yves Berger encore, ou est-ce que j'avais déjà commencé à travailler aux œuvres complètes. Il faudrait que je retrouve la chronologie.

ITW : Comment était-il dans le travail ? Comment se sont nouées vos relations ? Est-ce qu'il vous a testé d'abord ? Vos premières conversations ?

JCZ : Les premières conversations et les quelques échanges de lettres que j'ai eus avec lui, c'était « Que faut-il lire ? ». Il m'avait conseillé Borgès, Jean Grenier, et Jouhandeau. Et puis, dans un deuxième temps, il m'a dit « Non, Jouhandeau, ce n'est pas la peine ». Et il a remplacé Jouhandeau par un autre essayiste de cette même époque. Mais j'avoue que là, dans l'instant, je ne sais plus lequel. Je sais que j'avais pris tous les livres, Grenier, en tout cas. Je retrouverais ça, je vous enverrai un petit mot à la Paulhan... Et alors, en tout cas, l'impression que j'en ai retiré à chaque fois et que j'exprime, à chaque fois que, précisément, on me dit « Oui, mais alors, il avait la réputation », vous savez ça comme moi, de pouvoir être cruel, ironique, etc. Moi, je répond « Écoutez, j'ai connu Jean Paulhan, le grand-père, et il a été pour moi, comme un grand-père, plein de bonhommie, plein de gentillesse ». Il m'a offert plusieurs de ses petits manuscrits, dont le manuscrit de la Lettre à un jeune partisan que je lui avais apporté, comme un chien apporte un os à son maître en lui disant « Ah Jean, j'ai retrouvé le manuscrit ». « Ah, vous avez évidemment l'intérêt que j'avais porté à ce texte, que j'ai fait rééditer d'ailleurs beaucoup plus tard en petit fascicule, en quelque sorte chez Alia, et auquel j'ai donné une toute petite post-face pour expliquer le choc que ça avait été. Et donc, je l'ai trouvé rétrospectivement... Je crois que c'est toujours très différent sur le coup et après. Par exemple, sur le coup, à cette époque-là, je faisais de la critique de disques, enfin j'étais chargé de la rubrique jazz au Nouvel Observateur, et j'ai croisé dans les coulisses de l'Olympia, parce que j'avais un laisser-passer, tous les grands noms du jazz de l'époque, de Duke Ellington à Miles Davis, en passant par Coltrane, Bill Evans, etc. et j'ai très peu eu l'idée de me faire dédicacer des disques. Alors qu'aujourd'hui, des disques dédicacés de ces grands noms du jazz sont véritablement, non seulement ça vaut de l'argent, mais enfin, ce sont des reliques qu'on met dans les expositions, j'ai juste un exemplaire du disque de jazz moderne, le plus célèbre, qui s'appelle Kind of Blue, dédicacé par Miles Davis et tous les autres musiciens. Donc, moi, l'image que je garde de Paulhan, c'est Paulhan avec qui je joue au croquet, aux arènes, non pas, je confonds, le jeu de boule, ça ne s'est pas tellement joué aux boules, mais je jouais au croquet avec lui, quand j'allais travailler à Boissise, pour lui demander des éclaircissements sur les textes, sa mémoire commençait à défailler un tout petit peu, je pense. Mais bon, je retrouvais des choses, des années, des choses qui n'avaient plus d'un demi-siècle, et c'est pas toujours évident. Et puis, je pense que ça l'amusait, je pourrais presque dire, c'était une sorte de jeu du gendarme et du voleur, "ah bon, vous avez réussi à retrouver ça, bon, c'est bien, c'est bien ! Moi, je savais pas, je pense que c'était pas vrai, il devait savoir, mais je pense que ça l'amusait, de savoir que je jouais une sorte de Sherlock Holmes à la recherche des textes égarés, comme dans cette fameuse lettre, dans le tome 4, où il raconte comment il essaie de retrouver un manuscrit qu'on lui a envoyé et qu'il ne retrouve pas.

ITW : Et comment était Dominique, à votre égard ?

JCZ : Alors, pas comme une mère, parce qu'elle était plus jeune, mais elle a été tout à fait affectueuse, à la fois à mon égard, et aussi à l'égard de Marie-Christine, parce que, bon, Paulhan est mort relativement vite, je l'ai connu 3-4 ans, mais ensuite, j'ai longuement fréquenté Dominique pour préparer la matière première qui a été ensuite élaguée, peut-être, à mon avis, un peu excessivement, j'aurais prféré que dans les volumes de correspondance il y ait moins de notes et plus de lettres, dans la mesure où quelques notes en bas de page, je pense que c'est intéressant, mais prétendre que, grâce à des notes, on va pouvoir éclairer des gens qui ne savent pas qui est Paulhan ni ses correspondants, je pense que c'est un peu illusoire, parce que je pense que si on ne sait même pas qui est Paulhan, on n'a pas envie de lire la correspondance, donc de faire des notes sur Marcel Arland et autres, c'est un petit peu superfétatoire, mais je sais que ça a été la condition sine qua non pour avoir l'aide du Centre national du livre. Toujours est-il qu'après la mort de Paulhan, et pendant, je crois, 5 ans au moins, j'ai passé une grande partie de mes week-ends chez Dominique à la campagne, où j'avais récupéré d'ailleurs la chambre de Jean, et Dominique aimait bien faire la cuisine, elle avait notamment une recette de canard aux oignons et à la sauge, qui était particulièrement délicieuse, et sont des années, rétrospectivement, et là aussi, je pense que je n'ai peut-être pas tout à fait réalisé sur le coup, je ne l'ai pas suffisamment réalisé sur le coup, c'était des instants privilégiés pour prendre une expression paulhanienne, une fois de plus, mais j'ai gardé beaucoup d'expressions paulhaniennes à ce qu'il parait dans mon discours, tout en pratiquant l'ellipse, contrairement à ce que je fais aujourd'hui.

ITW : C'est donc l'accès à cette chambre de Paulhan qui vous a donné, qui vous a fait publier ensuite, le fameux _dictionnaire des Mots rares et précieux _ ?

JCZ : Absolument, ça a été quelque chose de très amusant, parce que, comme je l'ai expliqué d'ailleurs dans le petit texte que j'avais fait au moment de la réédition, il y avait dans la chambre de Paulhan ce fameux dictionnaire qui m'avait beaucoup intrigué, évidemment, un dictionnaire français-français des Mots rares et précieux, et puis il a disparu, parce que c'était devenu un livre extrêmement rare, de sorte que lorsque j'en parlais autour de moi, on me disait mais non, ça n'existe pas, et je me suis dit j'ai dû rêver ce livre, parce qu'il m'est arrivé, dans les années qui ont suivi, je crois que je me suis rêvé plusieurs fois, retournant dans la chambre de Paulhan, pour y trouver, enfin pour y découvrir de nouveaux inédits, enfin des choses vraiment fantasmagoriques, et je me suis dit, j'ai dû, dans un de mes rêves, dans lesquels je regardais les rayons de sa bibliothèque, imaginer, rêver ce livre, et donc ma surprise a été très joyeuse, lorsque j'ai finalement retrouvé, dans un catalogue Seghers, la mention de ce dictionnaire.

ITW : Revenons-en, si vous voulez bien, ou quelques années, pendant lesquelles vous avez pu côtoyer, fréquenter Jean Paulhan, est-ce que vous avez senti une évolution dans vos rapports, est-ce qu'il a été un peu votre mentor, est-ce qu'il se comportait comme un professeur ?

JCZ : Pas du tout, non, non, non, c'est...

ITW : Il ne vous conseillait pas dans votre vie personnelle, par exemple ?

JCZ : Alors... non, pas... en tout cas pas directement, je sais que ma carrière, enfin ma carrière, ma subsistance, le souciait, parce qu'il savait très bien que ça n'était pas en m'occupant des œuvres complètes que je pouvais gagner ma vie, c'est d'ailleurs, je raconterai ça ultérieurement, enfin, je fais une parenthèse, c'est à l'occasion du cocktail de lancement, chez Tchou, du premier volume, que j'ai rencontré Guy Dumur, qui lui aussi m'avait dit, "mais que faites-vous dans la vie, à part ça, j'imagine que ce n'est pas votre gagne-pain, les œuvres complètes de Paulhan?", alors je me fais un peu de critique musicale à Jazz Magazine, mais sans ça, j'essaye de poursuivre mes études de droit, sans enthousiasme, parce que les baux commerciaux, les divorces et les accidents, n'étaient pas vraiment ce qui pouvait me tenir éveillé le soir, et il m'a dit, qu'il n'y a personne pour le jazz à l'Observateur, venez donc! Donc déjà, le fait de m'être occupé des œuvres complètes de Paulhan a été une ouverture sur le monde pour le fils d'immigrés que j'étais, qui était un enfant de la République, au sens d'un enfant de la place de la République, c'est-à-dire du ghetto juif polonais du 11e arrondissement, il m'a fallu un certain temps, d'ailleurs, pour que comme un petit chat, que mes yeux s'ouvrent, j'ai compris très tard, notamment, qu'on pouvait être avocat en s'occupant de droits d'auteur, de droits de la presse, toutes matières dont je n'avais pas la moindre idée. Je pensais à l'époque que comme le seul avocat que j'avais rencontré qui était l'avocat de mes parents, tous les avocats étaient soit des pénalistes, soit des commercialistes, civilistes traditionnels. Je ne savais pas qu'il y avait des avocats spécialistes.

ITW : Vous échangiez sur des lectures avec Jean Paulhan, sur des livres que vous aviez lus, des peintures que vous aviez vues ?

JCZ : Les peintures, là aussi, j'étais encore assez ignorant, mais c'est par lui que j'ai découvert sans doute le cubisme. Il y a eu des expositions de son vivant. Il y avait eu une exposition dans le 7e, dans une galerie dont le nom m'échappe à l'instant. Une petite exposition. En tout cas, ça m'a pris la main pour ouvrir davantage l'oeil sur la peinture moderne.

ITW : Et sur les lectures, il vous a conseillé, il vous a fait un plan de lecture ?

JCZ : Pas complet. Il y a surtout eu Borgès, Grenier; Sartre, il m'a dit que c'était pas la peine... Il avait de la sympathie pour Camus, pas du tout pour Queneau, et parce que, à peu près à la même époque, j'avais mes entrées chez Gallimard, j'ai rencontré Queneau qui pensait que je venais le voir lui, et quand il a compris que je venais le voir pour lui parler de Paulhan, l'accueil a été disons réservé. Et en revanche, il y a quelqu'un d'autre qui a été beaucoup plus sympathique, et dont j'ai gardé un très très bon souvenir, c'était quelqu'un très chaleureux, c'est Brice Parain. Et je trouve que la correspondance Paulhan-Parain, si limitée, soit-elle, est l'une de celles qui me semblent les plus riches autour de cette notion du langage, et il y a cette formule de Paulhan dans l'une des lettres, "nous avons cherché tous les deux à réduire la mésentente entre les hommes, qui se crée parce que tout le monde ne parle pas le même langage".

ITW : Certaines personnes nous ont dit qu'elles avaient rencontré, qu'elles avaient connu en Paulhan un être très désespéré, est-ce que c'était votre sentiment ? désespéré au sens où il n'avait pas trouvé ce qu'il cherchait, du point de vue intellectuel.

JCZ : Ecoutez, je pense en me référant au volume où j'ai eu le privilège pour lequel j'ai eu le privilège de faire un petit texte en même temps que Belaval, que Paulhan a sans doute voulu éviter de croire en Dieu, et que son échec a été de ne pas pouvoir trouver la clé pour le remplacer. Il lui fallait une croyance pour ne pas être désespéré, mais en tout cas dans la vie quotidienne il était dans mon souvenir, malgré son d'état de santé, il portait un corset, il avait des problèmes de douleur... il était très joyeux. Je sais que je me souviens qu'on avait des parties de cartes notamment à Boissise où on s'amusait énormément. Il avait un très grand sens de l'humour chez lui, de la plaisanterie, du jeu de mots, enfin il aimait... moi en tout cas, "désespéré à l'intérieur", je sais pas, il ne me l'a jamais dit, mais en tout cas pas du tout en apparence, c'était pas du tout quelqu'un... j'ai jamais vu, c'est une image, se prendre la tête à deux mains, jouer au penseur ou des choses comme ça.

ITW : Est-ce que vous avez souvenir d'une conversation sur la métaphysique avec lui ?

JCZ : Ecoutez, moi j'ai dû lui poser quelques questions naïves, j'imagine qu'il a dû s'en tirer dans la mesure où moi j'avais pas fait d'études de philo par une de ses pirouettes mais qui.. du type de la dédicace qu'il m'avait mis sur les consélèpes c'est-à-dire je crois qu'il m'avait sans doute conseillé de lire Lao-Tseu aussi pour essayer de trouver une forme à 25 ans, 28 ans chercher la sérénité c'est sans doute prématuré, enfin un minimum d'équilibre. Je crois que les conversations que j'avais avec lui, plutôt que de métaphysique, c'était sans doute plus de morale : qu'est-ce qu'il était bien de faire ? est-ce que c'était bien d'avoir plusieurs petites amies ? est-ce qu'il fallait être plutôt avec une seule ? ce genre de choses... moi j'ai là aussi rétrospectivement je pense que j'étais quand même encore assez nigaud quand je l'ai connu. Il a fallu que je fasse du droit, que je termine mon... que je devienne avocat pour avoir le sentiment d'être devenu un adulte.

ITW : Quelques années après la mort de Paulhan vous avez publié pour la première fois les entretiens à la radio et Robert Mallet, est-ce que c'était une chose que vous aviez vue avec lui de son vivant ? Est-ce que vous en aviez parlé

JCZ : Peu. Quand j'ai découvert, je crois que c'était dans le grenier dans une boîte, l'exemplaire très raturé du tapuscrit original dont une partie avait disparu, on l'a publié dans le Tome 4... donc... j'ai dû en parler avec lui... j'ai dû en parler avec lui et il a été partisan je pense de la version, de la version corrigée. Quand on voit la...

ITW : Vous dites en tout cas dans le Tome 4, vous dites que ça avait été revu par Paulhan. Je pense qu'il avait préparé des réponses. Il aimait bien le ping-pong mais pas à la radio et Mallet avait eu envie de rééditer le rythme de ses entretiens avec Léautaud donc du ping-pong très rapide, c'est un rythme qui ne correspondait pas du tout à Paulhan qui était quelqu'un qui faisait des démonstrations, de façon elliptique, de façon rapide, mais je pense qu'il y avait le fils de Frédéric qui était un logicien, un logicien à sa façon, mais en tout cas un logicien, et on peut pas faire une démonstration à chaque fois en 3 mots, il faut un certain temps pour parvenir... et donc c'est la raison pour laquelle dans le manuscrit et les questions de Robert Mallet passaient à la trappe et ça laissait la place au développement complet qui était dans la volonté de Paulhan.

ITW : Et qu'est ce qui vous a donné l'envie après ça, je crois que c'était en 71, de publier chez Gallimard Les incertitudes du langage ?

JCZ : Alors moi j'étais contre le titre mais François Herval qui dirigeait Idées à l'époque, c'était à la mode le langage, et c'est lui qui avait suggéré ce titre on m'avait dit bah écoutez puisque c'est son choix on fait ça comme ça, et j'ai été très très très content je dois dire ça, peut-être que ça se sent dans un petit texte que je le dis à la fin lorsque Jean Mater m'a proposé de rééditer les entretiens à la radio sous ce titre dans la collection Arcades.

ITW : Pascal Pia dit dans un entretien, à la télévision suisse je crois, que Jean Paulhan est l'homme qu'il a le plus compté pour lui parce que, et quand on lui demande pourquoi, il répond que c'est parce que c'est quelqu'un qui l'a aidé à ne pas écrire. C'est une réponse paradoxale parce que....

JCZ : Je pourrais peut-être en dire autant puisque je n'écris pas bien qu'on m'ait sollicité, on m'ait beaucoup encouragé en tout cas à me raconter et j'ai, mais ça fait déjà trop longtemps ça fait 2 ans, l'intention effectivement, pour l'exemple, pour dire qu'il faut jamais se décourager même si à 30 ans on a encore les pieds dans la mouïse, de raconter ce que je compte intituler des morceaux choisis, c'est à dire que, là encore la formule est sans doute paulhanienne, je ne pense pas être intéressant tous les jours donc je vais pas faire 600 pages en racontant par le menu depuis la guerre jusqu'à aujourd'hui tout ce qui m'est arrivé mais il y a sans doute la matière de 4 ou 5 chapitres...

ITW : Ce que vous avez déjà fait pour des hauteurs américains par exemple des morceaux choisis, des ontologies.

JCZ : Oui. Et donc là, il s'agit de découper dans mon existence la période de la guerre qui est restée quelque chose de très marquant. Ensuite il y a une grande période qui est tout à fait blanche à part mon... le début de ma passion pour le jazz, la rencontre avec Paulhan, je me marie, je reprends mes études et je deviens, bon, avocat, et puis parallèlement, et ça fera l'objet d'un autre chapitre, je vais pas avoir 2 chapitres, ensuite ma trajectoire dans l'édition et les différentes personnes que j'ai rencontrées, mais sans prétendre faire des portraits complexes soit de Bernard de Fallois, de Christian Bourgois, j'aurais juste comme ça, à la Paulhan, quelques lignes sur chacun, et puis peut-être sur mon métier d'avocat. Voilà si j'y arrive, j'ai promis de publier ça chez mon ami Dominique Gauthier qui est...

ITW : Le dilettante

JCZ : Je veux pas avoir l'air de me prendre sérieux, je veux une couverture, peut-être pas bouffonne mais enfin un peu...

ITW : Légère.

JCZ : Légère, type morceaux choisis pour l'école quoi... parodie d'un livre de classe de 6e.

ITW : Quel regard rétrospectif vous portez sur la fortune de Jean Paulhan, la fortune littéraire aujourd'hui, comment vous le classeriez aujourd'hui ? quelle est sa position ?

JCZ : Je crois qu'aujourd'hui, meilleurs sont les livres, moins bien ils se vendent, à quelques rares exceptions près. Je mets dans ces exceptions un auteur comme Philippe Roth, que je trouve toujours à l'instar d'un Woody Allen, d'une grande intelligence, et d'une intelligence à la portée de... je ne dirais pas du plus grand nombre puisque, on sait ce que lit le plus grand nombre, enfin d'un assez grand nombre de lecteurs... ou d'un Vargas Llosa, qui sont tous les deux des raconteurs d'histoires, imaginaires ou réalistes, qu'on lit toujours, enfin que moi je lis toujours avec beaucoup de plaisir et comme je le répète souvent à propos de Philippe Roth, j'ai l'impression, pour paraphraser là encore un titre de film célèbre que je vieillis avec lui, que nous vieillissons ensemble. Alors je suis pas tout à fait, je suis pas encore dans le même état que certains de ses héros, mais j'ai beaucoup d'affinités avec sa façon de penser, ça vient peut-être d'ailleurs d'un de ses premiers livres qui était Le Complexe de Portnoy, et dans lequel là aussi j'avais pu me reconnaître dans mes rapports avec ma chère maman, juive. et puis... Paulhan, donc pendant très longtemps j'étais scandalisé par le fait qu'il n'y ait pas plus de lecteurs que ceux que réunit la Société des Lecteurs de Jean Paulhan, là encore avec le recul, je me dis que c'est très réactionnaire ce que je vais dire, mais une pensée de ce niveau, qui n'a pas fait d'efforts particuliers pour être lue par un grand nombre de lecteurs c'est normal que cela reste, comme on le dit, c'est un peu un lieu commun, mais pourquoi pas s'agissant de Paulhan, que ça reste relativement confidentiel.

ITW : Est-ce que vous avez un projet nouveau avec Paulhan, à propos de Paulhan, sur Paulhan ?

JCZ : Non, à part les quelques pages que je peux évidemment consacrer à mon aventure avec Paulhan dans ce petit livre de morceaux choisis, ça fera évidemment partie de... c'est un moment très important dans ma vie, qui a été un booster pour mon évolution personnelle, et je pense que Paulhan m'a évité de trop souffrir moralement, je pense que ça a été un libérateur.

ITW : En dehors de la famille Paulhan, est-ce que vous vous êtes fait quelques amis, aux arènes pendant les années des arènes, c'est-à-dire quand vous étiez tout jeune

JCZ : Parmi les relations de Paulhan ?

ITW : Oui... parmi les familiers...

JCZ : Écoutez, je... surtout avec les enfants, plus ami avec Jacqueline qu'avec Frédéric, qui était quelqu'un de pas très communiquant, mais j'ai eu de très très bons rapports de confiance et très affectueux avec Pierre Paulhan par exemple quand il avait un... ça n'est pas arrivé très souvent, mais s'il avait un souci juridique, il m'a témoigné, alors que j'étais encore relativement jeune avocat une confiance, là aussi, rétrospectivement, qui était très flatteuse. À chaud, on se rend très mal compte des choses.

ITW : Dernière question s'il vous plaît. Je voulais vous demander, vous avez consacré aussi un film à Jean Paulhan en 1974

JCZ : 73. Il est sorti après 74, je me souviens de l'année parce que j'ai terminé le film sur la Côte d'Azur, on était allés interviewer Ponge qui était très rigolo parce que quand je revois le film, ou que je réentends, j'ai là encore les bandes dans l'oreille, il terminait toujours ses phrases par "vous comprenez ?" donc j'avais l'impression d'être un âne qui ne comprenait rien et Ponge paniquait à l'idée que je comprenne pas. Et donc j'ai terminé le film, le tournage du film à Nice, et 15 jours plus tard je passais le capa donc je sais que c'est en... à l'automne 73.

ITW : La question que je voulais vous poser c'est que, le titre du film c'est Paulhan le patron, en référence donc à Braque le patron, et je voulais vous demander si l'image de Paulhan vous a toujours été présente pendant votre travail d'éditeur, de directeur, de créateur de collection ? est-ce que vous vous dites parfois "comment Paulhan aurait-il traité ce texte ?"

JCZ : Je sais pas, c'est peut-être vaniteux la façon dont je vais vous répondre, mais je pense que j'ai été tellement imprégné de mon Paulhan à moi, que je n'ai pas besoin, enfin, je pense que je suis imprégné à ma façon de l'esprit de Paulhan et je me pose pas la question de ce qu'il aurait pensé parce que ce que je fais je pense que je le fais dans le droit fil de ce qu'il aurait fait ou de ce que je pense qu'il aurait fait, mais sans avoir besoin de me poser la question. Je pense que si je l'avais, si je l'avais pas rencontré, j'aurais sans doute pas eu cette carrière parallèle que j'ai eue dans l'édition et je vois bien, alors j'ai eu la chance de m'occuper de roman policier au Nouvel Observateur, ce qui m'a donné une grande connaissance de cette littérature, mais à chaque fois j'ai souhaité faire ce qu'il y avait de mieux. Aujourd'hui j'ai créé une petite collection d'essais aux Belles Lettres, là encore j'essaie de faire revenir en librairie des auteurs comme Steiner, enfin des textes, je suis pas le seul à publier du George Steiner, mais là je vais rééditer plusieurs livres de Bertrand Russell, donc je pense que ça... Paulhan, c'est assez élitiste et je pense que ça m'a donné, on est allé jusqu'à me le reprocher, enfin entre guillemets "reprocher", ça m'a donné une démarche un petit peu élitiste, voire snob peut-être, peut-être que aux yeux de certains, c'est un peu snob de vouloir, de prétendre toujours ce que... faire dans ce que l'on considère comme étant le mieux sans aucune préoccupation, en fait, commerciale. Je suis ravi évidemment, parce que ça a été un supplément de revenus substantiel, du gros succès qu'ont eu les grands détectives, la collection de romans policiers, pendant quelques années, mais ce que j'ai eu en tête à part Paulhan, mais de façon infuse en quelque sorte, c'est ce qu'on voyait un moment sur les paquets de cigarettes Benson & Edges, des cigarettes anglaises dont la devise était when only the best will do, "quand seulement le meilleur le fera" comme on dit. Ce sont des Benson & Edges ?

ITW : Il n'y a plus la mention

JCZ : Dommage, c'était un très joli slogan. Aujourd'hui les slogans c'est maintenant "les fumeurs... très prématurément", on n'a pas dû leur permettre de continuer. C'est en français en plus.. c'était les paquets rouges. when only the best will do donc, ça a été mon fil conducteur, avec cette espèce d'héritage paulhanien, mais je considère comme une seconde peau, donc c'est quelque chose que je... je pense à lui, enfin ce qui m'empêche pas, je pense aux années, à mes années Paulhan, toujours avec une certaine forme de reconnaissance, parce que, comme je vous le dis, je pense que ça m'a changé, enfin ça m'a sûrement changé la vie. J'ai rencontré ma femme d'ailleurs parce que je travaillais aux œuvres complètes par l'intermédiaire de quelqu'un qui travaillait aussi au cercle du livre précieux. Ça a été, là aussi, une rencontre capitale, pas seulement du fait du mariage, il y a des mariages qui ne sont pas du tout capitaux, ni même capiteux. Donc, et là, en gros, c'est sans doute grâce à elle et grâce à l'aide psychologique de sa famille dont j'avais encore besoin à l'époque, que j'ai repris ce que j'ai intitulé parfois "le chemin fécond de l'université". Chemin fécond dont mes lectures, sartriennes notamment, ou à l'époque l'exemple de Malraux qu'on nous citait en exemple en disant "les études c'est bon pour ce pour les... enfin pour ceux qui n'ont rien d'autre", etc. "on peut très bien devenir ministre sans avoir son bac" et des choses comme ça, donc ça a été l'influence de ma belle famille a été l'autre branche grâce à laquelle j'ai pu faire un rétablissement.

ITW : merci Jean-Claude Zylberstein.

JCZ : merci à vous.