Les Hain Teny Merinas, poésies populaires malgaches
Jean PaulhanEn publiant chez Paul Geuthner, en 1913, le premier recueil de hainteny en français, Paulhan aura rendu lisible une part de la culture malgache. Il a fait de l’Émyrne (le pays où l’on voit au loin), un domaine propre mais partageable, une enseigne lointaine mais qui « faisait signe ».
Destiné aux des savants, ce livre a essaimé chez les poètes, à qui il pose la question de l’effet de leur langage. Extrêmement poétique par ses traductions, et porteur de moments narratifs très purs, il est aussi traversé par une double inquiétude, puisque les paroles qui s’y lisent auraient pu être perdues, mais que leur recueil peut à son tour être compris comme une perte. L’antiquité des hainteny est la qualité qu’on leur reconnaît le plus volontiers. Elle coïncide avec le respect de la sagesse ancestrale. Contrairement au pantoum malais, ou au haiku japonais, le mot hainteny n’est pas aujourd’hui retenu dans les dictionnaires de langue française. Qu’est-ce qu’un hainteny ? Adage ou dicton, c’est en tout cas un proverbe populaire, initialement dans le genre érotique.
Si Paulhan a retenu la thèse du caractère populaire de ces textes, leur valeur érotique a été effacée des dictionnaires ultérieurs, parce que le genre a évolué, peut-être, mais aussi parce que l’autocensure des informateurs et des collecteurs a été influencée par les missionnaires. Paulhan a le sens de la progressivité du sens. Aussi « le découvrement d’une signification n’est pas une donnée immédiate de la conscience, mais le résultat d’une “expérience du proverbe”, qui sourd au fond de “l’observation du proverbe” , quand celle-ci a été épuisée. Il est un processus rythmé par le scrupule, et régulièrement scandé par des formules ».
Le travail malgache de Paulhan reste un travail critique, qui débouche sur la dénonciation de deux illusions, celle de l’explorateur et celle du traducteur. Tout cela au fond est déjà dans le mot même de hainteny, compris comme « mots-de-science » ou « science-du-langage ». Qu’un texte soit savant, utile, éventuellement poétique, qu’il touche son destinataire, que sa fluidité soit sécable en dialogues, voilà tout le programme de la réflexion et de la vie de Jean Paulhan.
ISBN 10 : 2705337822
ISBN 13 : 9782705337827
Collection : Varia
Pages : 500
Format (mm) : 125x180
Poids : 470g
Extrait, Traduction de trois poèmes malgaches.
THÈME DE L'HÉSITATION ET DES RIVALES
— Par ici, au Nord Sont deux petits citrons pareils.
L'un est mûr, l'autre encore vert.
Si je prends le mûr, j'ai honte devant le vert
Si je prends le vert, j'ai honte devant le mûr.
— Ne me touche pas, toi, je suis encore verte.
Laisse-moi mûrir dans la main de celui que j'aime
Un homme parle. Une femme répond.
Deux citrons : deux jeunes femmes.
THÈME DE LA SÉPARATION ET DE L'ABANDON
Dis aux nuages d'attendre
Car le vent diminue.
Dis au lac d'oublier
Car les oiseaux n'y viendront pas dormir.
Il est mauvais d'oublier tout d'un coup
Il est bon d'oublier peu à peu.
Une femme parle.
Le vent et les oiseaux sont la femme, les nuages et le lac l'homme qu'elle s'apprête à abandonner.
THÈME DES REGRETS ET DES REPROCHES
— Quel est cet homme, devant vous ?
— Je ne sais, je ne l'ai pas rejoint.
— Quel est cet homme, derrière vous ?
— Je ne sais, il ne m'a pas rejointe.
— Pourquoi donc restez-vous debout ?
— Je ne reste pas debout, je me suis levée par hasard.
— Pourquoi donc soupirez-vous ?
— Je ne soupire pas, je baille.
— Pourquoi votre esprit paraît-il égaré ?
— Mon esprit n'est pas égaré, mais je réfléchis.
— Pourquoi avez-vous les joues creuses ?
— Ce n'est pas exprès que j'ai les joues creuses,
mais mon enfant est mort.
(Elle se met alors à pleurer, et fait de la peine aux gens.)
Un homme parle. Une femme répond.
La Société des Lecteurs de Jean Paulhan a publié dans le premier numéro de son bulletin Jean Paulhan et ses environs un intéressant Dossier : Autour des « Hain-Teny »
À propos de Madagascar, voir aussi les Lettres de Madagascar, 1907 - 1910 et Le repas et l'amour chez les Merinas
Editeur : Paul Geuthner