Aytré qui perd l'habitude
Jean PaulhanUn acrostiche littéralement dénonciateur
par Bernard Baillaud
Paulhan n'insiste pas sur le pittoresque malgache, dans ce récit insulaire qui détourne le lecteur de la géographie exotique pour l'orienter, non sans maladresse ingénue, vers un dispositif langagier. Au narrateur, modifié par le meurtre de Raymonde Chalinargues — victime sans innocence — le lecteur pose l'inévitable question policière, et cherche avec lui l'identité du coupable. Un moment dirigés contre le sergent Guetteloup, dont le nom aurait dû suffire à lui assurerune saine réputation d'évergète (mais le nominalisme a parfois le triomphe tardif) les soupçons tombent finalement sur l'autre sergent, Aytré, rédacteur d'un journal de route laissé à la disposition du lecteur, et marqué par un événement de langage qui tient lieu d'indice : étrangement bavard après s'en être tenu au laconisme des guerriers, il rend les gouverneurs responsables des rébellions qu'ils prétendent mater, et semble beaucoup tenir à noter ses observations sur les différents moyens de locomotion à Madagascar. Le sens circule donc ainsi, dans la variété de ses vecteurs, filanzane, pirogue ou voiture française Lefèvre, bourjane, buffle, chaloupe à vapeur ou marche à pied, mais un interprète est souvent nécessaire pour démêler une affaire de vol de sagaies et de bagues. Hérodote n'y aurait peut-être pas vu d'inconvénients ; mais le lecteur peut ne pas trop faire confiance aux conclusions d'un narrateur librement scrupuleux, à qui Raymonde avait confié son capital, et qui ne l'a pas encore rendu aux héritiers de la victime. À vrai dire, l'assassinée pourrait n'être qu'un avatar colonial de Pierre de la Ramée, exécuté, Paulhan veut le croire, pour hérésie rhétorique plutôt que religieuse, mort à cause du langage et pour lui. Nul criminel peut-être pourtant parmi les personnages, au point où s'écrit, en un acrostiche littéralement dénonciateur, mais pour parler avec Guyau, sans obligation ni sanction, le nom d'un coupable sans faute à qui un correspondant hyperboliquement reprocha d'avoir tenté d'écrire un trop long sonnet de Mallarmé, façon d'indiquer un larcin et de protester, un peu bêtement, contre la torture de l'interprétation.
Texte paru dans la revue L'Infini, numéro 55, Automne 1996
Lire le texte original paru dans la NRf de février 1921
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Textes parus dans la NRF
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Textes de Jean Paulhan
- Aytré qui perd l'habitude, Jean Paulhan