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couverture de la revue Le Spectateur

Revue des Etudes Ethnographiques et Sociologiques

Article paru dans Le Spectateur, tome deuxième, n° 10, février 1910.

PÉRIODIQUES

REVUE DES ETUDES ETHNOGRAPHIQUES ET SOCTOLOGIQUES (juillet-août 1909). —

M. P. Saintyves consacre à une des classes les plus importantes de talismans, ceux qui sont censés être tombés du ciel, une intéressante étude où l'interprétation psychologique ne le cède en rien à la riche documentation historique et ethnographique. Il montre d'abord comment devait naître la croyance à cette sorte de talisman, — puis il énumère les différentes catégories d'objets qui ont joué ce rôle, — enfin il tire de cet examen une conclusion relative à ce qu'on peut appeler le « système cosmologique » des primitifs.
« La foudre brûle et brise tout à la fois, elle est un feu qui dévore et une force qui écrase. Les incendies allumés par elle reçurent dès les temps préhistoriques une explication facile; ils étaient l'œuvre du feu du ciel, ne brille-t-il pas jusqu'à nous aveugler dans l'éclair? Mais comment expliquer les autres œuvres de la foudre, comment cette hutte avait-elle été pulvérisée, comment cette muraille projetée, comment ces arbres séculaires avaient-ils pu être sillonnés et brisés depuis le sommet jusqu'aux racines? Force était d'imaginer que la foudre se composait de deux éléments : l'un lumineux et brûlant, capable d'allumer les plus vastes incendies, l'autre, plus matériel, solide et dur, tantôt aigu et tranchant, tantôt arrondi ou contondant. Ce second élément fut appelé généralement pierre de foudre (céraunies) et revêtit des formes assez variées : flèches, carreaux et vrilles; haches, coins et lissoirs, masses, marteaux et maillets. »
Ainsi les besoins de l'intelligence populaire relatifs à la spécialisation et à l'adéquation de la cause exigeaient des objets bien déterminés comme agents des phénomènes constatés : or précisément des pierres mystérieuses, auxquelles on ne savait assigner aucune explication, se trouvaient, pour ainsi dire, en instance d'emploi. On leur attribua la place libre d'autant plus volontiers que des coïncidences temporaires ou locales ou des analogies apparentes venaient enlever tout scrupule possible, grâce à la conformité qu'acquéraient alors les relations nouvelles avec la relation-type de causalité.
M. Saintyves répartit en six groupes les objets qu'il étudie.
Les Aérolithes. — « Il était assez logique que les aérolithes obtinssent les mêmes adorations que la foudre et surtout que la foudre tombée d'un ciel pur, le signe le plus clair de l'action et de la présence d'un dien céleste. On sait, en effet, que le plus souvent la chute des aérolithes a lieu par un temps serein et qu'elle est accompagnée d'un bruit semblable à celui du tonnerre. »
Les gemmes ou gemmæ cerauniæ. - « On classait aussi parmi les pierres de foudre, ou pierres de nature ignée, les pierres précieuses dont les feux ou les reflets faisaient songer aux rayons d'une étoile ou aux brillants de l'éclair. »
3° « Les fossiles de forme lancéolée ou étoilée furent également classés parmi les pierres de foudre. »
4º Des jeux de la nature. — « Les pierres qui ont une forme singulière furent assez facilement déclarées d'origine céleste. »
5° Les armes de pierre de l'époque préhistorique: haches, flèches et couteaux. - « C'étaient pour les anciens, et pour les paysans ignorants de nos jours ce sont encore des pierres de foudre. Leur forme si caractéristique n'est-elle pas admirablement appropriée à certaines auvres du tonnerre? Et d'ailleurs n'est-il pas ordinarement évident qu'elles se différencient profondément par leur nature des terrains dans lesquels on les trouve?»
Les idoles tombées du ciel: Xoana Palladia.— L'auteur cite dans cette classe de très curieux exemples. Après avoir insisté sur le caractère universel des légendes qui s'attachent aux pierres de foudre, il ajoute : «Faut-il voir dans ces innombrables superstitions,légendes et traditions parallèles le résultat d'une dissémination ayant son point de départ dans un foyer unique ou dans deux ou trois foyers? Je ne le pense point : la variété même de ces récits, le côté expérimental qui se trouve parfois à leur base inclinent à croire qu'il s'agit d'une explication qui devait venir naturellement à l'esprit d'un homme d'une certaine culture. »
M. Saintyves voit dans les faits qu'il a étudiés des témoignages d'une « conception dynamiste » bien différente de l' « animisme primitif ». — « La hache brésilienne qui continue d'être animée six ans après sa chute n'est pas douée d'une âme, mais d'une force empruntée à l'éclair, de même que la vertu protectrice de l'aérolithe est empruntée au dieu qui l'a projetée, de même encore que la vertu des statues de fabrication céleste leur vient surtout d'avoir été travaillées par des doigts divins et par suite chargées d'une force, divine. » M. S. voit ici la première ébauche des conceptions qui ont abouti au dynamique scientifique et aux hypothèses énergétiques modernes.
Cette étude du pénétrant auteur du Discernement du miracle prouve une fois de plus combien a raison M.A. van Gennep en disant que les disciplines psychologiques devront, « sous peine de périr dans le formalisme verbal, prendre contact avec les réalités vivantes par le moyen de l'ethnographie, parce qu'elle leur apporte, comme l'a bien vu M. J. de Gaultier, « des éléments concrets de nature à leur conférer une solidité singulière.».

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