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couverture de la revue Le Spectateur

De quatre solutions au problème chrétien

Article paru dans Le Spectateur, n° 52, décembre 1913.


Deux livres récents de M. Ch. Maurras (Politique religieuse, l'Action Française et la Religion catholique) ont ramené l'attention sur l'éternel problème du rapport à déterminer entre l'Evangile et l'Eglise. Quatre solutions sont proposées. Nous les énonçons ici du point de vue logique, seul conforme aux études du Spectateur :

I. Solution catholique : L'Eglise possède substantiellement et intégralement l'esprit de l'Evangile, prolonge son action et le distribue aux différents peuples à travers les âges.
Corollaire : Pour être chrétien, il faut être catholique.

II. Solution protestante : L'Eglise, infidèle à l'esprit de l'Evangile, l'a dilué et dénaturé dans ses institutions, sa hiérarchie et son culte.
Corollaire : Pour être chrétien, il faut ne pas étre catholique.

III. Solution moderniste: L'Eglise a succédé à l'Evangile, le modifiant en se modifiant elle-même, pour l'adapter à des conditions intellectuelles et sociales très différentes de celles ou avait paru la Bonne Nouvelle.
Corollaire: Pour être chrétien, il faut être catholique.

IV. Solution de modernes sociologues qui se disent romains et que nous distinguerons de l'Eglise romaine par la dénomination de romanisants : l'Eglise romaine, en disciplinant l'esprit de l'Evangile par l'autorité hiérarchique, en le diluant dans les prestiges harmonieux de la liturgie, a neutralisé les effets, pernicieux à la société, de cet esprit mystique, « qui souffle où il veut », donc individualiste, donc anarchiste.

Corollaire : Pour n'être pas — trop — chrétien, il faut catholique.

On n'aperçoit pas qu'une cinquième solution puisse ajouter à la plénitude de satisfaction logique procurée à l'intelligence par celles que nous venons d'envisager. Mais si l'on veut imaginer un concile où serait débattu le problème ainsi posé, voici les curieuses figures de quadrille qui devraient, de nécessité logique, s'y succéder :

I. Catholiques, Modernistes et Romanisants seraient d'accord pour reconnaître dans l'Eglise la succession légitime, historiquement et socialement, de l'Evangile: cela contre les Protestants.

II. Protestants, Modernistes et Romanisants seraient d'accord pour reconnaître dans l'Eglise des modifications, des additions, des adaptations opérées sur la substance spirituelle de l'Evangile : cela contre les Catholiques.

III. Modernistes et Protestants seraient d'accord pour reconnaître que l'esprit de l'Evangile, (qui importe avant tout, en droit) risque d'être étouffé, en fait, par l'autorité et la liturgie instituées pour son service. Cela contre les Catholiques - qui récusent le fait et contre les Romanisants — qui récusent le droit.

IV. Catholiques, Modernistes et Romanisants seraient d'accord pour reconnaître que l'esprit ne peut vivre sans l'appui de la lettre, ni l'Evangile sans l'enveloppe de l'Eglise: cela contre les Protestants.

V. Enfin, Catholiques, Modernistes et Protestants seraient d'accord pour reconnaître que l'Evangile importe avant tout, essentiel ferment du progrès individuel et social, — même si l'ordre établi en doit subir quelques secousses ou transformations: cela con- tre les tenants de la Paix Romaine : « C'est servir le Christ, qui est le premier dans les cœurs chrétiens. »

Il va sans dire que cette note ne saurait se donner d'autre objet que de déterminer aussi exactement qu'il a semblé possible les différentes positions logiques que peuvent occuper, simultanément ou contradictoirement, les partisans des quatre solutions proposées au pro- blème chrétien; nous n'oserions pas prétendre que la réunion des Eglises séparées avance, par l'effet de ces remarques, d'un seul pas: c'est une noble tâche, mais où toute la logique, à elle seule, reste impuissante.

P. L.

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