Précisions
Tant qu'à faire d'être accusé injustement, mieux vaut en un sens l'être d'une faute grave que d'une faute légère : dans le premier cas, un accusateur loyal nous laissera du moins le loisir de nous défendre; dans le second, il nous arrêtera en nous disant qu' « il n'y a pas grand mal », et nous aurons mauvaise grâce à poursuivre.
On peut énoncer des propositions abstraites et générales parce qu'on en a le goût, et c'est là un goût légitime, mais purement théorique. On peut aussi en énoncer parce qu'on y voit un précieux instrument pour passer de ces cas concrets et particuliers que sont ceux de l'expérience passée à ces autres cas concrets et particuliers qui sont ceux de l'application future : et cette fois, sous l'apparence d'un même goût théorique, il y a au contraire collaboration étroite avec le grand travail pratique de l'humanité.
Beaucoup se plaignent que leurs intentions sont mal jugées : combien plus souvent aurait-on à se plaindre qu'avant d'être mal ou bien jugées elles sont gratuitement supposées !
Le Parisien le plus généreux, s'il omet à Vienne de donner un pourboire au receveur de tramway, est considéré par lui comme avare, et de même à Paris le grand seigneur autrichien par l'ouvreuse de théâtre dont il oublie de rémunérer les prétendus services : tous, pour des questions bien plus importantes, nous sommes semblables au receveur et à l'ouvreuse, en ce que des circonstances de fait (usages, etc.) jouent à notre insu un rôle parfois prépondérant dans la formation de nos jugements, — à notre insu, mais sans que nous soyions dispensés pour cela de nous interroger sur le risque de leur présence.
D'un enfant, s'il oscille de droite et de gauche, on ne dit pas qu'il veut aller trop à droite ou qu'il veut aller trop à gauche, mais seulement qu'il ne marche pas droit : au contraire, si l'un de nous raisonne ou juge mal, on ne voit jamais là un accident naturel de l'esprit, on veut à toute force discerner l'effet d'une tendance à aller trop à droite ou bien trop à gauche, à être trop réactionnaire ou trop avancé, trop sévère ou trop indulgent, trop pessimiste ou trop optimiste.
Une erreur qui n'a pas de suites importantes, on ne s'en occupe pas ; une qui en a, on est à juste titre soucieux de parer à ces suites, et on ne songe qu'en second lieu à en examiner le mode de production : c'est à cet état de choses, qui serait facilement remédiable dans le premier cas, qu'est dû le renouvellement incessant de certaines erreurs... et de leurs suites.
LA RÉDACTION