aller directement au contenu principal
couverture de la revue Le Spectateur

Précisions

Article paru dans Le Spectateur, tome sixième, n° 55, mars 1914.

Lorsqu'on entend parler de discussion honnête, on songe à quelque chose d'exclusivement moral : mais, en réalité, les qualités qui assurent l'honnêteté à une discussion sont en elles-mêmes singulièrement analogues à celles qui assurent la certitude à un travail de recherche ou d'expérience, scientifique ou pratique, conduit individuellement ou à plusieurs.

Combien de discussions seraient à la fois plus honnêtes et plus instructives si on apercevait mieux l'analogie étroite par quoi se ressemblent une discussion entre deux esprits et la délibération qui a lieu dans un seul et même esprit appelé à choisir entre deux idées ou deux manières d'agir.

De ce qu'il est souvent vrai que « le raisonnement bannit la raison », il ne faudrait cependant pas avoir l'air de conclure que l'absence de raisonnement garantit la raison.

De combien de personnes obtient-on l'abandon d'une idée, même lorsque cet abandon est pénible à leur amour-propre, plus facilement que les quelques secondes d'attention qui suffiraient souvent à résoudre le malentendu!

Le moraliste austère conseille de se méfier du premier mouvement parce qu'il n'est pas réfléchi; Talleyrand, qui n'était ni moraliste, ni austère, disait de s'en méfier parce qu'il est le bon ; n'y aurait-il pas souvent lieu de le soupçonner de n'être pas le plus naturel ?

Lorsqu'une chose est bien démontrée, il ne devrait plus importer qu'avant cette démonstration elle ait été plus ou moins évidente, et c'est là cependant une circonstance qui influe considérablement sur le degré de notre certitude.

Il est remarquable qu'on ne puisse guère faire observer qu'une chose n'est pas certaine ou pas prouvée sans donner à penser qu'on croit qu'elle est fausse.

Si l'on veut que l'enseignement des langues, de la langue maternelle et des autres, soit d'un vrai profit pour la pensée et la vie, il ne faut pas se borner à montrer les ressources de ces langues, mais insister aussi clairement sur leurs limitations et leurs embûches en tant qu'instruments de pensée et d'action.

Il y a certes des choses dont on ne peut parler ni avec une précision ni avec une certitude absolue ; il ne s'ensuit nullement qu'on doive renoncer d'en parler avec le plus de précision et de probabilité possible ; ni même que le fait seul d'en parler, d'attirer par là l'attention et de suggérer la réflexion à leur égard, ne soit un acheminement vers la plus grande précision et la certitude.

Retour à la revue Le Spectateur