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couverture de la revue Le Spectateur

Précisions

Article paru dans Le Spectateur, tome sixième, n° 53, janvier 1914.

Bien loin de prétendre se substituer à l'expérience et à la réflexion personnelles, les règles et les méthodes devraient avoir pour objet de garantir l'indépendance de l'une et de l'autre contre l'automatisme de la routine ou de l'emballement.

La spontanéité s'accommode encore mieux d'une bonne règle formulée que d'une mauvaise habitude d'esprit non formulée.

On s'étonne parfois que des personnes, animées d'un très sincère esprit de justice, se montrent en fait souvent injustes. Songe-t-on à s'interroger sur leur justesse d'esprit, et n'oublie-t-on pas que, si la justice est chose morale, son application est soumise à des conditions intellectuelles ?

Si difficile qu'il soit souvent de faire admettre ce qu'on dit, il l'est quelquefois davantage de faire comprendre ce qu'on veut dire ; — avec cette complication qu'on se rend en général beaucoup moins compte de la seconde difficulté que la première.

Bien des personnes, qui ne sont pas toutes des vieillards, se prévalent de leur expérience pour se dispenser de recourir à l'expérience.

. Si les excès de l'esprit géométrique sont le fait des seuls géomètres...?

Insister sur la nécessité qu'il y a pour la pratique à savoir à l'occasion réfléchir méthodiquement ce n'est nullement prétendre qu'une telle réflexion méthodique puisse ou doive être l'attitude normale de l'esprit, ni oublier que la constance de cette attitude serait aussi nuisible àl'équilibre de l'esprit qu'à l'action elle-même.

Les idées que le sens commun acquiert dans le simple exercice de la pratique sont indispensables et précieuses; mais on semble croire trop aisément que l'origine pratique de ces idées garantit nécessairement que ce soit en toute occasion les meilleures pour l'application pratique, — comme si le chemin tracé par les pas dans la prairie était par sa nature préférable de tous points à la route des ingénieurs.

Les idées les plus simples à concevoir et à réaliser dans la pratique ne sont pas toujours celles qui, exprimées en mots, apparaissent les plus simples, — et réciproquement.

On assimile communément esprit critique et esprit de négation : ce serait parfait s'il né courait par le monde que des « affirmations »; mais, comme il y court aussi pas mal de « négations »,l'esprit critique,lorsqu'il s'exerce sur celles-ci et qu'il est amené à les écarter,fait très exactement œuvre d'affirmation. Et de même, si vrai qu'il soit que l'attitude critique de l'esprit puisse être par ses excès nuisible à l'action, il n'en reste pas moins que l'esprit critique, en « critiquant » et en écartant s'il y a lieu les raisons de ne pas agir, se fait l'allié direct de l'action.

A certains égards la netteté des idées est d'autant plus nécessaire que les choses s'y prêtent moins, — plus nécessaire pour les complexités de la pratique que pour la simplicité des mathématiques.

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