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couverture de la revue Le Spectateur

Périodiques

REVUE PHILOSOPHIQUE (avril 1909). M. Milhaud, dans un bel article sur le rôle de la pensée mathématique dans l'histoire des idées, veut s'« attacher à certains caractères essentiels de la pensée mathématique et surtout chercher quel a été son retentissement sur les conceptions, sur les doctrines des philosophes, ou même sur les tendances les plus générales de l'esprit humain ».
Il se demande pourquoi la mathématique a toujours excité à un si haut degré l'esprit des penseurs (Platon, Descartes, Leibniz, Kant, etc.) et exercé sur lui un tel charme. La raison lui semble être dans cette rencontre singulière « que l'intelligence humaine y procède par anticipation, par création, et qu'en même temps elle réussit à étendre sa connaissance », connaissance vérifiable et applicable dans le monde extérieur.
Sans doute les critiques ont eu raison de faire leurs réserves sur ce rôle créateur de l'intelligence ; mais, en leur accordant toutes les concessions qu'ils réclament, on ne peut nier que les éléments véritables maniés par le géomètre, « loin d'être des résidus de l'expérience, sont formés par un effort incessant d'éliminer de l'image tout ce qui conserve quelque qualité concrète et sensible », c'est-à-dire ce qui irait à l'encontre du pouvoir de généralisation qui fait la force de l'esprit mathématique.
La mathématique est-elle donc une sorte de « logique naturelle » sans contenu objectif, une simple méthode? Les logisticiens ne l'ont nullement prouvé, car leurs constructions, d'ailleurs fort intéressantes, ne viennent qu'après coup : elles ne se confondent pas avec l'édifice mathématique et ne sauraient le remplacer.
Pour donner une idée des fortes liaisons qui existent entre la géométrie et le monde physique, M. Milhaud rappelle l'exemple bien connu, mais trop souvent oublié, de l'application faite par Képler aux problèmes astronomiques modernes de la théorie des sections coniques construite dans un esprit tout esthétique par Apollonius et les géomètres grecs, et il cite la phrase de Condorcet : « Le matelot qu'une exacte observation de la longitude préserve du naufrage doit la vie à une théorie conçue deux mille ans auparavant par des hommes de génie qui n'avaient en vue que de simples spéculations géométriques. »
Comment concilier les deux caractères en apparence contradictoires de la mathématique : d'une part, «la spontanéité de l'élan de l'esprit qui, étranger à toute préoccupation pratique, s'envole toujours plus haut dans son rêve d'abstraction » ; d'autre part, « le progrès incessant de la connaissance du monde physique par l'utilisation tôt ou tard possible des symboles ainsi créés » ?
La contradiction ne nous paraît telle que par suite d'une illusion psychologique. L'élan de l'esprit semble arbitraire parce qu'il se présente comme spontané dans l'intelligence individuelle ; mais en réalité « chaque idée arrive à son temps'», il y a « continuité du développement ».
D'ailleurs, ajoute M. Milhaud, cette continuité n'implique nullement « la nécessité absolue des constructions mathématiques ». L'idée d'une telle nécessité lui semble être « la chimère qui a pesé d'un poids trop lourd sur toute notre philosophie et toute notre science ». Nous ne saurions dans cette revue nous associer trop affirmativement à cette manière de voir : une des confusions les plus dangereuses et en même temps les plus tenaces de la pensée moderne nous semble être en effet celle qui lui fait tenir pour indiscernables le raisonnable, le normal d'une part et l'absolument déterminé d'autre part, ou, si l'on préfère, qui lui fait conclure à l'absence de tout moyen terme entre cet absolument déterminé et l'arbitraire, comme s'il n'y avait pas assez de richesse dans la raison et dans le réel pour qu'en éliminant tous les éléments de trouble et de désordre il ne reste encore des combinaisons en nombre indéfini satisfaisant aux conditions exigées par la raison et parmi lesquelles celle-ci opère un libre choix.
Mais revenons à l'intéressant article de M. Milhaud qui finit en montrant le parallélisme qui s'est poursuivi entre le développement des mathématiques et celui de l'esprit humain en général, le besoin rationnel de la démonstration s'affirmant pour la première fois chez les Grecs à l'occasion du théorème du carré de l'hypoténuse, — et surtout l'avènement définitif de la méthode scientifique à la Renaissance étant due beaucoup plus au sens de l'abstraction mathématique des Galilée, des Képler et des Descartes que, comme on le dit souvent a tort, au goût des procédés expérimentaux, puisque ceux-ci, fort développés chez les alchimistes et ailleurs, n'avaient établi aucune construction solide.
M. Milhaud conclut, en présence de l'extension de plus en plus grande de l'esprit scientifique, que, dans ce domaine comme dans les autres, « le progrès dépend moins de circonstances extérieures que de l'énergie vers la vérité ».

RENÉ MARTIN-GUELLIOT.



M. Benrubi esquisse la philosophie de Rudolf Eucken qu'il rapproche de MM. Bergson et Boutroux par sa réaction contre les tendances qui voudraient faire de la philosophie la servante des autres sciences : le point central de sa doctrine est la recherche de l'unité morale dans la pensée et dans l'action humaine.
M. Ribot donne sur la conscience affective un article très fouillé, qu'il nous entraînerait trop loin d'analyser, et dont nous indiquerons seulement les conclusions : il y a une différence de nature nette et bien tranchée entre le moi actif et le moi intellectuel ; c'est ainsi qu'on parle d'affection aveugle, et qu'on dit que l'amoureux agit contre la raison (cette expression est-elle bien probante et n'agit-il pas avec raison, mais seulement à partir de prémisses qui, elles, ne sont pas raisonnables ?... et cela est-il bien différent de ce qui se passe dans des domaines réputés sans conteste intellectuels ?); — pour pénétrer dans la vie affective il faut s'affranchir autant que possible de la méthode intellectuelle (sans doute, mais il ne faut pas oublier que les phénomènes affectifs les mieux caractérisés ont toujours des conditions d'ordre intellectuel qu'on perd souvent de vue parce qu'elles sont négatives).
Notons aussi cette remarque importante que le plaisir et la douleur ne sont pas les éléments profonds de la vie affective mais des signes et que les prendre pour ces éléments serait imiter l'erreur du médecin qui confondrait symptôme et lésion.

REVUE DE PHILOSOPHIE (1er avril 1909). Mgr Farges commence une série d'études sur l'unité du sujet et de l'objet et rappelle quelques distinctions ingénieuses des scolastiques (cause efficiente et cause provocatrice ou équivoque, etc.), distinctions qui ne nous semblent subtiles que par inaccoutumance et qu'il y aurait peut-être intérêt à reprendre dans une certaine mesure à la lumière de la science moderne.

REVUE DES IDÉES (15 avril 1909). M. Ermoni dans un second article sur le prétendu syncrétisme du christianisme montre que ce syncrétisme est loin d'être prouvé et qu'il n'a semblé tel que par suite d'erreurs de méthode : a) on a confondu analogie et identité ; b) on a confondu succession et dérivation ; c) on n'a signalé aucune des différences. Il y a entre le christianisme et les doctrines contemporaines de son avènement une zône humaine commune, et c'est tout.

REVUE DU MOIS (10 avril 1909). M. J.-H. Rosny aîné donne, comme primeur de son livre sur le Pluralisme, une étude de la persistance et du changement. Le développement de l'esprit humain ne tend pas nettement vers l'une ou l'autre de ces idées : l'intelligence découvre toujours plus de constance sous les modifications et plus de variations dans ce qui apparaît comme uniforme.