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couverture de la revue Le Spectateur

Périodiques

Article paru dans Le Spectateur, n° 7, novembre 1909.

REvUE DES IDÉES (15 août 1909). - Dans une intéressante monographie des femmes d'Espagne, l'ethnographe anglais Havelock Ellis insiste sur l'originalité profonde du peuple espagnol vis-à-vis des autres peuples européens. Aussi a-t-il bien vite appris à ne pas s'étonner que beaucoup d'Espagnols ne fassent guère de distinetion entre Français et Anglais, par exemple. Des dames catalanes, dit-il, « bien qu'elles me sussent un Anglais; sortirent en mon honneur, leur petite provision de mots français et essayèrent de me faire plaisir en me disant que Paris devait être une bien jolie ville ». Il convient d'ailleurs de tenir compte de cette illusion de perspective qui fait que les différences nous apparaissent d'autant moins grandes que les éléments considérés sont plus éloignés de nous ; il est donc naturel qu'un Espagnol estime plus grande la distance qui le sépare d'un Français que celle qui sépare celui-ci d'un Anglais, de même que les nègres nous apparaissent plus semblables entre eux que les Allemands et les Allemands que les Français: dans le peu connu les caractères saillants qui sont les caractères généraux retiennent seuls l'attention, dans le très connu leur perception est oblitérée par l'accoutumance et ils laissent le champ libre aux caractères individuels.
M. Joseph Deschamps subsume de façon très intéressante à la notion de comparaison mathématique les procédés qui aboutissent au rapport par différence, au rapport par quotient (ou « rapport ») et au rapport logarithmiqué.

REVUE DEs IDÉEs (15 septembre 1909). - Pour M. Marcel Lestranger le pli professionnel chez les magistrats contemporains consiste (bien plutôt que dans les tendances contraires qu'on leur suppose ordinairement) dans le degré peut-être exagéré de « leur indulgence, leur crainte de l'erreur judiciaire et leur respect de la liberté individuelle ». Qu'il en soit ainsi en fait, c'est ce que M. Lestranger, qui appartient à la magistrature debout, nous montre par des exemples et en particulier par une intéressante analyse du procès de Jeanne Weber. Il ne voit pas d'héroïsme dans cette conduite des magistrats. S'ils agissent ainsi, c'est, nous dit-il, parce qu'ils sont « imbus des mêmes idées générales » que leurs contemporains et « parce que les conditions de leur vie professionnelle, leur intérêt moral et matériel, l'amour de la tranquillité et de leur considération leur commandent cette mansuétude, cette crainte de l'erreur, ce respect de la liberté où leur naturel les pousse ». Au surplus M. Lestranger estime que « leur obéissance aux idées maîtresses de la sensibilité contemporaine les conduit un peu loin dans la direction contraire à celle où l'opinion abusée les voit qui marchent ».
On a souvent insisté sur les dangers que présentent pour la société les abus du sentimentalisme dans la pratique de la justice pénale. Indépendamment de ces considérations sociales, une réflexion très simple suffit, croyons-nous, à mettre en garde contre l'importance trop grande attachée aux mobiles de sensibilité dans les décisions judiciaires. C'est le caractère tout fortuit de leur application, d'où l'ambiguité, sinon l'injustice de leurs conséquences. Cela est si vrai que souvent ils influent non pas en faveur de l'accusé, mais à son détriment. Un exemple, que cite à un autre propos M. Lestranger, est caractéristique à ce sujet. Dans une affaire où l'accusé, âgé de 19 ans, était poursuivi pour meurtre et viol d'une paysanne, les magistrats, président, procureur, etc., n'étaient tous préoccupés en raison d'un ensemble de circonstances, que d'obtenir un verdict très atténué, et ils seraient vraisemblablement arrivés à leurs fins si le mari de la victime n'avait eu l'idée de faire amener par une voisine l'aîné de ses trois enfants qui joignit ses cris aux lamentations paternelles. « Ce fut, dit spirituellement M. Lestranger, un verdict sans pitié... sinon pour le mari et les enfants de la victime. » A vrai dire, c'est ordinairement dans l'autre sens que l'excès est à craindre. On oublie que « même quand la défense a les meilleures raisons pour faire appel à la pitié, les motifs d'être pitoyables se trouvent en général en plus grand nombre dans le dossier de l'accusateur ». Pour satisfaire à toutes les exigences d'ordre moral et d'ordre social, M. Lestranger fait une proposition que nous soumettons aux juristes, lecteurs du Spectateur : « Il est certain, dit-il, que le ministère public représente des intérêts généraux et qu'à ce titre il est tenu à quelque discrétion. Mais alors la victime se trouve lésée. Le remède serait de donner toujours aux droits de la partie civile un représentant aux débats. A cette condition le ministère public pourrait rester - sans que l'équité en souffrit — à la hauteur où la loi le place. Le président pourrait plus aisément jouer ce rôle d'arbitre qui doit être en effet le sien... »

Les Rédacteurs

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