
Périodiques
Article paru dans Le Spectateur, tome premier, n° 16, août-septembre 1910.
REVUE DES IDÉES (15 juillet 1910). — On trouvera dans l'article de M. Palante sur M. Jules de Gaultier un excellent tableau d'ensemble d'une des philosophies les plus compréhensives et les plus artistiques de notre époque. Artistique, cette philosophie ne l'est pas seulement par son harmonie, due à « une logique inflexible unie à un vif sentiment de ce qu'il y a d'arbitraire, d'illogique et d'irrationnel dans l'ensemble comme dans le détail des choses » : elle l'est encore parce qu'elle se propose précisément de nous faire apparaître le monde et la vie « sous l'optique de l'artiste ». Entre l'attitude esthétique et l'attitude du moraliste, le philosophe, en tant que théoricien de la connaissance, doit nécessairement choisir la première. La philosophie s'apparente également à l'art par ce caractère qu'exprimait déjà Schopenhauer en disant qu' « elle a, à chaque instant, touché son but qui est de reproduire et d'exprimer le monde ». « La philosophie enfin, selon M. J. de Gaultier, est, comme l'art, le privilège d'une élite. Si l'état spectaculaire se trouve en germe dans l'acte élémentaire de la pensée : la perception, et cela chez n'importe quel homme, cet état ne prend pourtant tout son développement et sa nature plénière qu'en quelques esprits qui mettent leur joie suprême dans l'acte contemplatif. » Ce n'est point ici le lieu de se demander s'il ne serait pas possible de prouver, par des observations psychologiques ou par les données du folklore, que la différence très réelle qui sépare l'état spectaculaire parfait de l'état spectaculaire élémentaire se trouve sensiblement exagéree en apparence par de simples imperfections de mise au point de la part de ce dernier. M. Jules de Gaultier autorise d'ailleurs un tel point de vue par ce qu'il dit de la solidarité profonde qui relie les deux instincts dont l'antithèse domine toute sa philosophie et la rend singulierement pénétrante : l'instinet vital et l'instinct de connaissance. « L'être en qui l'instinct vital régnerait seul, dit son commentateur, serait voué à l'emportement du désir inassouvi et furieux au point de s'ignorer lui-même, à la folie du mouvement, à la frénésie de l'action trépidante et épileptique... » M. J. de Gaultier se reconnaît « une préférence de tempérament pour l'instinct de connaissance. Mais ce même tempérament spectaculaire va maintenant l'inviter à rendre justice à l'instinct vital, à reconnaître son importance et sa perennité en face de l'instinct de connaissance. » Ces préliminaires une fois posés, M. Palante commence à montrer le développement de la philosophie de M. J. de Gaultier, dont il indique seu- lement les premières phases dans ce numéro.