
Périodiques
Article paru dans Le Spectateur, tome premier, n° 4, juillet 1909.
LIVRES NOUVEAUX
ANNALES DE PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE (avril 1909). La théologie a été de tout temps partagee en deux écoles: les mystiques intuitifs et les scolastiques raisonneurs. M. Lemarié pense que « mystiques et scolastiques pourront se concilier par une connaissance plus exacte de la nature de la certitude et de la foi religieuse » : c'est qu'en effet il ne faut négliger aucun des éléments constitutifs de la croyance ou de la négation à l'égard de la religion catholique : la grâce, la raison, la concupiscence; dès lors on comprendra facilement que les preuves du christianisme, tout en étant « raisonnables », ne soient pas « syllogistiquement convaincantes » M. P.
REVUE DES IDÉES (15 mai 1909). M. le Prof. Grasset esquisse le plan d'une Physiopathologie clinique de l'homme : « Résumant l'histoire du fonctionnement de l'homme sain ou malade, la Pathologie générale tire sa documentation de deux sources diverses : la physiologie (pour l'homme sain) et la clinique (pour l'homme malade). Elle complète ces deux sciences particulières l'une par l'autre, et devient ainsi la physiologie normale: et pathologique ou mieux la Physiopathologie clinique de l'homme.
Cette manière de concevoir la Pathologie générale n'est que l'application du principe suivant dont, après beaucoup d'autres, je poursuis depuis de longues années la démonstration et la réalisation : la médecine tout entière doit être aujourd'hui orientée vers le penser physiologique, qui doit dorénavant remplacer le penser anatomique comme base de la science de l'homme.
L'anatomie elle-même reconnaît qu'elle doit être une anatomie vivante ou physiologique pour être une anatomie clinique et médicale.
Il y aurait des rapprochements intéressants à faire entre ces idées médicales et des tendances analogues en philosophie (le pragmaticisme méthodologique et le point de vue de fonctionnement qui est le nôtre ici) dans le droit (M. Saleilles), en mathématiques (MM. Poincaré, Meray, Borel) (1).
Le Dr Grasset note la possibilité de guérisons fonctionnelles non accompagnées de guérisons anatomiques. Il démontre qu'il n'y a « de classification utile en Pathologie générale que la classification physiologique ».
Signalons enfin son curieux schéma du cercle de la vie.
R. M. G.
M. G. Matisse, dans une étude critique du livre de M. A. Rey sur la Philosophie moderne (2), montre la difficulté qu'il y a, en présence de l'enrichissement intellectuel moderne, à soutenir sans contradictions la thèse du rationalisme pur. « A la doctrine de l'utile, guidant l'esprit dans son choix au milieu de l'océan de l'arbitraire, M. Rey oppose la raison pure, le rationalisme: la pratique, pour lui, est « la suivante de la science et de la raison ». Les mathématiques sont une « application particulière » de la logique (p. 107). Il reconnaît, à tout instant. il est vrai. le rôle fondamental de l'expérience, par conséquent l'insuffisance de la raison seule; il reconnaît encore que la raison et la logique « ont leur fondement dans la nature des choses », dérivent, elles aussi, de l'expérience ou de l'adaptation de l'être à son milieu. Mais alors, si la raison dérive de l'expérience journalière de la vie, quelle différence y a- t-il, si ce n'est dans les mots, entre le rationalisme et la doctrine adverse? « La science est l'œuvre de la raison. » Mais de quoi la raison est-elle l'œuvre? De l'expérience, de l'adaptation, répondent les rationalistes; la science est l'œuvre de la pratique, disent les pragmatistes. N'est-ce pas la même chose? Il n'y aurait de différence possible que, si la raison, étant fille de l'adaptation, fille de l'expérience acquise inconsciemment dans la vie journalière, était construite une fois pour toutes, était close, enfermée dans quelques principes de logique formelle, comme quelques philosophes ont pu le croire. On reconnaîtrait bien vite, dans ce cas, son insuffisance pour fonder la science tout entière. Quand on veut traiter un problème réel par la raison ainsi définie, on ne tarde pas à sentir combien mal il se traduit en termes rationnels, quelles déformations il faut lui faire subir pour le saisir, et combien cette raison est impuissante (3).
Rémy de Gourmont l'a remarqué: « La logique générale, qui enivrait Kant, est de toute inutilité en ces deux sciences, par exemple, la linguistique et la biologie. E c'est ce qui explique le nombre infini de bétises que profèrent quotidiennement les amateurs de biologie et de linguistique ». La raison, telle que nous la trouvons ez nous, résultat de l'expérience vulgaire, est donc insuffisante à nous donner des principes logiques assez riches pour condenser en eux les propriétés et les lois du milieu. »
On nous pardonnera cette longue citation : nous tenions à montrer que nous n'étions pas les seuls à soutenir combien était mal venue à prendre le qualificatif de générale cette logique dont M. Matisse, avec M. Remy de Gourmont, signale l'insuffisance. Quant à ces « principes logiques assez riches » dont M. Matisse suggère l'existence, ce sont eux que nous cherchons à déterminer ici; soumis plus étroitement que ceux de la logique générale aux caractères particuliers de la portion du réel à laquelle ils s'appliquent, ils peuvent se grouper en systèmes qui constituent les différentes parties de la logique réelle : études de notions, logique du langage, etc.
R. M. G.
(1) Cf. la communication du De Louis Renon sur le pragmatisme en médecine à la Société de thérapeutique, en appendice de J. Bourdeau. Pragmatisme et Modernisme. (Paris. Alcan. 1909.)
(2) Paris, Flammarion.
(3) C'est nous qui soulignons.