
Opinion vulgaire sur la certitude scientifique
Article paru dans Le Spectateur, tome sixième, n° 56, avril 1914.
A propos de récentes discussions rétrospectives sur le procès de Mme Lafarge, le Dr Toulouse fait allusion, dans Demain (25 mars 1914), à la conception comme « tout ou rien » qu'a l'esprit commun de la certitude scientifique.
« Parce que le Dr Chantemesse a émis l'hypothèse que Lafarge aurait pu ne pas être empoisonné par sa femme, mais succomber à une intoxication alimentaire, les journalistes se sont écriés:
- Puisque M. Orfila, le premier chimiste de l'époque, s'est trompé en trouvant de l'arsenic dans le corps de Lafarge, on ne doit plus rien croire des médecins ni de la science.
- Comment, déclare M. Edouard Julia dans Excelsior, se faire une conviction quand on n'a en face de soi qu'une poussière d'experts représentant non seulement l'infirmité de la science, mais encore la leur propre?
Singulière manière de comprendre la science.
Mais admettons qu'Orfila se soit trompé et que le Dr Chantemesse se trompe encore, cela infirmera-t-il le progrès lent qui se manifeste dans l'apport des vérités, incessamment discutées, incessamment rectifiées ?
C'est là un préjugé populaire que la science doit être d'emblée absolue dans ses affirmations. Elle n'est en réalité qu'un effort, mais cet effort, il faut le juger aux deux points extrêmes de sa courbe. Et quand on compare la chimie de Berthelot à celle des alchimistes, dont elle dérive, on se rend compte que tout de même, la science mérite créance ».