
La logique sociale et l'initiative de M. Cochon
Article paru dans Le Spectateur, n° 50, octobre 1913.
L'habitude n'est pas assez répandue de considérer les faits sociaux comme les autres ordres de faits, et quoiqu'il existe des sociologues, le pli n'est pas encore pris en face des moindres phénomènes nouveaux de se demander quelle logique les a amenés. Il est indéniable que l'action de M. Cochon en faveur des locataires pourvus de nombreux enfants, et expulsés de leurs logements, n'a pas eu une mauvaise presse. On a ri de ses procédés pittoresques, on a faiblement protesté quand ils étaiett gênants pour quelques-uns, mais on ne lui a pas gardé rancune. Sa manière est bien populaire, s'occupant davantage des résultats que de savoir si tous les droits des tiers des résultats que de savoir si tous les droits des tiers sont plus ou moins minutieusement respectés. Et en l'espèce il n'y a aucun doute qu'il faille éviter à des enfants de passer la nuit dehors, que leurs parents y soient ou non pour quelque chose. Sans aller jusqu'à la violencé révolutionnaire des suffragettes (dont le Spectateur vient de s'occuper), M. Cochon par de simples entorses sans gravité au droit strict a su attirer l'attention sur une classe de gens dont l'assistance officielle s'occupait peu. Au point de vue logique, on peut se demander si l'on n'assiste pas à la naissance spontanée d'un organisme social indispensable de secours, à défaut de sa création par l'initiative de l'état.
L'axiome physiologique: « la fonction crée l'organe, semble applicable ici, et le mouvement né d'en bas, non ordonné, non réfléchi, non scrupuleux comme celui qui émanerait d'un ministère, n'est peut-être que la réaction d'un corps vivant en face d'un besoin plus complet d'organisation. L'attitude logique des pouvoirs publics serait d'examiner à son tour la question de l'hospitalisation provisoire des expulsés, non pas que leur situation soit normale, mais parce que dans une très grande ville, donc parmi un très grand nombre d'habitants, de simples probabilités pourront annoncer qu'il y aura toujours telle proportion normale de cas anormaux, proportion faible, mais normale, puisque constante.
La prévoyance sociale peut donc s'étendre aux expulsés avec les précautions utiles pour ne pas en accroître le nombre. L'état y gagnera d'ailleurs un élément de prestige qu'il ne doit pas laisser à d'autres qu'à lui, et au lieu de remédier à un désordre par un autre désordre il y substituera un ordre véritable, ou du moins y tendra.
Pour en revenir plus strictement à notre sujet, la seule attitude vraiment logique en face de faits sociaux nouveaux doit être celle du physicien, qui à l'aspect d un phénomène inattendu, n'a pas un instant l'idée d'être pour, ou contre, mais se demande immédiatement pourquoi; c'est le seul moyen de connaître les causes, médiates ou immédiates, donc le seul de reproduire ou d'éviter le phénomène, ou tout au moins de l'amplifier ou de le restreindre à volonté, suivant que ses conséquences se trouvent être utiles ou nuisibles.
O. C.