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couverture de la revue Le Spectateur

Livres nouveaux

Article paru dans Le Spectateur, tome premier, n° 14, juin 1910.

Paul ARCHAMBAULT. - Montesquieu. Choix de Textes et Introduction (Préface de M. H. Barthélemy). - Paris, Louis Michaud, 2 fr.

Dans son étude sur Montesquieu, M. Archambault essaie entre autres choses de dégager le véritable sens des chapitres où ce jurisconsulte philosophe traite des lois dans leur rapport avec le milieu physique et social. Ces pages sont pour nous spécialement intéressantes en ce qu'elles montrent bien quelle doit être l'attitude de l'esprit en présence de la complexité du donné. Hommes et événements ne sont pas choses simples, il est facile de s'en rendre compte et tout à fait banal de le dire : par contre il est plus rare d'avoir le sentiment profond de la solidarité qui existe entre tous les aspects du réel et extrêmement malaisé de décrire avec exactitude leur enchevêtrement. Chercher à comprendre, c'est essentiellement vouloir trouver de la clarté dans ce qui apparaît d'abord comme contus, sans que pour cela on se livre à des interprétations trop simplistes enlevant aux phénomènes étudiés la complication qui en est justement la caractéristique la plus évidente. C'est précisément ce que Montesquieu a su faire lorsqu'il a tenté de réintégrer l'activité sociale de l'homme dans le déterminisme universel. « Causes sociales et causes naturelles, causes physiques et causes morales, idéal et faits, individu et milieu : 1l a fait une place à tous cesélements dans le déterminisme de l'histoire; il n'a pas cherché à les réduire artificiellement à l'unité, pas même à les subordonner et à les hiérarchiser rigoureusement; il na pas cru non plus qu'entre eux il y ait un seul type concevable d'interaction.» C'est ainsi, par exemple, que sous le seul mot de « rapport » par lequel il désigne les relations qui existent entre la loi positive et les lois naturelles, il entend une multitude de choses très diverses, puisque cette interdépendance est présentée tantôt comme un obstacle à l'action du législateur, qui ne peut rien contre les faits, tantôt comme une indication de ce qu'il y a à faire et de la manière de procéder si l'on veut utiliser les forces naturelles que sont le climat et les mœurs. A un autre point de vue, c'est à certains endroits d'un rapport de causalité qu'il s'agit; la chaleur produit le despotisme (en enlevant aux hommes tout courage et en les prédisposant à l'esclavage), tandis qu'en d'autres pages c'est une loi de finalité qui est mise en évidence : dans les pays chauds, il faut séquestrer les femmes parce que l'ardeur des passions y met en péril leur vertu ; la séquestration est ici un moyen, une condition nécessaire au maintien de la pureté des mœurs, tenue pour une fin estimable. Nous n'avons signalé cette analyse, très minutieusement faite d'ailleurs, de la pensée de Montesquieu sur ce point spécial que parce que nous y voyons une illustration d'une vérité parfois méconnue : c'est par paresse d'esprit bien plus que par sentiment vrai de la clarté que, pour la compréhension du réel, nous sommes portés à nous contenter, en guise d'explication suprême, de quelques idées simples faciles à retenir, comme à saisir, et de quelque vague et prétentieuse systématisation.

M. P.

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