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couverture de la revue Le Spectateur

Livres nouveaux

Article paru dans Le Spectateur, tome premier, n° 1, avril 1909.

(MM. P.JANET, G. DEHERME, E. RABAUD, A. VAN GENNEP)

Docteur P. Javer. Les Névroses. Paris, E. Flammarion. 3 fr. 50.
A côté de la richesse et de la sûreté des observations pathologiques, un des plus grands mérites de l'ouvrage de M. Janet est assurément le soin qu'a pris l'auteur de déterminer rigoureusement les caractères psychologiques de chacune des classes des symptómes névropathiques auxquels il consacre sa première partie. La délimitation de ces classes étant due à des considérations cliniques, il a fallu tantôt réunir des symptômes en apparence hétérogènes, tantôt en séparer qui présentaient de fausses analogies, ce qui a donné lieu à d'intéressantes analyses.
Ce mérite se retrouve à plus forte raison dans la seconde partie destinée à établir une distinction d'ordre général entre les états hystériques et les états psychasthéniques. C'est ainsi qu'à propos de ces derniers M. Janet a été amené à définir ce qu'il appelle la fonction du réel, dont il considère l'absence comme un de leurs caractères essentiels. On nous permettra de citer cette définition, car il est intéressant de voir que des considérations cliniques ont conduit à une notion que la psychologie normale aurait rencontrée depuis longtemps si elle ne s'était contentée dans l'étude des formes supérieures de l'intelligence d'une démarcation des théories logiques ou du développement des doctrines associationnistes.
« Les psychologues, dit M. Janet, semblent admettre le plus souvent qu'une fonction mentale reste toujours la même, quel que soit l'objet sur lequel elles exerce; qu'un raisonnement, par exemple, ou la recherche d'un souvenir garde toujours le même caractère, quel que soit le problème ou le souvenir considéré. Je crois, pour ma part, qu'il y a une grande différence dans les opérations psychologiques suivant qu'elles s'exercent sur des objets imaginaires ou abstraits, ou bien qu'elles s'exercent à propos de choses réelles qui existent, aujourd'hui même devant nous, qu'il s'agit de percevoir, de modifier, ou dont il s'agit de se défendre. Il y a, à mon avis, une fonction du réel qui consiste dans l'appréhension de la réalité par la perception ou par l'action et qui modifie considérablement toutes les autres opérations suivant qu'elle s'y ajoute ou qu'elle ne s'y ajoute pas. » Dans sa conclusion l'auteur insiste sur ce fait « que les symptômes psychologiques doivent être analysés avec autant de soin et de précision que les symptômes physiologiques », qu'il ne faut pas « employer à tort et à travers les mots : démonstration, persuasion, suggestion, association, idée fixe, obsession ». Il voit dans l'analyse psychologique « le point de départ des méthodes de psychothérapie, seules applicables au traitement des névroses », sur lesquelles il nous promet un prochain volume.

R. M. G.

G. DEHERME. La Démocratie vivante. Paris, B. Grasset. 4 fr. 50.

La seule barrière à l'établissement du monopole universel auquel tend forcément l'Etat est l'association coopérative où la démocratie doit trouver son ordre vivant. Celui-ci ne peut être le fait ni de l'éparpillement libéraliste, ni de l'Etat jacobin auquel l'auteur oppose cette conception (p. 73) : « L'Etat d'une démocratie, ce n'est pas le Gouvernement... Ce n'est pas non plus un parti victorieux, qu'il soit majorité brutale ou minorité habile... L'Etat est l'ensemble de toutes les forces sociales, le produit de toutes les actions libres, la synthèse de toutes les libertés; il n'est pas le nombre, il est l'unanimité; il n'est pas un parti, il est le tout. »

E. RABAUD. Le Génie et les théories de M. Lombroso.
Paris, Mercure de France. O fr. 75. A. VAN GENNEP. La Question d'Homère. Paris, Mercure de France. 0 fr. 75.

Ces deux petits livres, qui font partie de l'excellente collection Les Hommes et les Idées ont ceci de commun que, écrits par des hommes très informés de l'état actuel de leur science respective, ils tendent, avec succès à notre avis, à réfuter plus ou moins complètement des théories qui, tout en étant plus anciennes qu'on ne le croit, aiment à revendiquer auprès du grand publie le prestige d'une nouveauté quelque peu révolutionnaire. Ce qu'il faut pour discréditer une erreur, c'est moins la réfuter directement que montrer comment elle a pu naître et être plus ou moins admise; et c'est bien là ce que font MM. Rabaud et van Gennep. Le premier explique à la fois le succès et l'inanité des théories de M. Lombroso par sa « méthode de la précision de surface avec une imprécision fondamentale » étayée sur des analogies et des coïncidences curieuses mais improbantes. Le second, qui avait affaire à plus forte partie, voit dans la spécialisation à outrance et le rétrécissement de l'esprit critique qui s'ensuit, la cause des erreurs avancées sur la question d'Homère par ceux qui n'ont pas fait appel à ce sujet à la fois à la philologie, au folklore, etc. Il se livre à ce travail et conclut à la composition des poèmes homériques par « un poète de génie, lequel a utilisé dés légendes populaires plus anciennes mais en faisant une synthèse harmonieuse ».

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