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couverture de la revue Le Spectateur

Livres nouveaux

Article paru dans Le Spectateur, tome premier, n° 4, juillet 1909.

F. Le DANTEC. La Crise du Transformisme. Paris, F. ALcan, 3 fr. 50.

Au premier abord le titre du livre de M. Le Dantec peut étonner le lecteur qui sait à quoi s'en tenir sur les prétendues crises que subissent les hypothèses scientifiques.
S'agit-il, peut-on se demander, d'une crise de laboratoire ou d'une crise de la croyance populaire qui s'était attachée à l'hypothèse? Dans le premier cas, le mot crise ne se justifie que littérairement: les savants savent fort bien qu'une hypothèse n'a de valeur que par le nombre et l'importance des faits dont elle prétend rendre compte, et que, s'il arrive que des exceptions trop nombreuses et trop importantes viennent combattre l'explication proposée, cette explication disparaît d'elle-même... Les savants savent bien qu'une hypothèse est toujours provisoire et qu'elle n'est pas une vérité indiscutable.
Il en est, à vrai dire, tout autrement pourles hypothèses scientifiques qui ont la bonne fortune de passer dans l'opinion. Celles-là deviennent alors de véritables arguments de faveur des croyances populaires, et même des symboles de ces croyances.
En effet, il existe une métaphysique populaire faite d'instinct, et, en somme, assez vague. C'est une croyance, ou une non-croyance (selon les cas) à quelque chose de supérieur à toutes les supériorités connues, croyance sans contenu bien riche. Quelque chose d'aussi inconsistant a besoin pour prendre corps d'une base are et cette base, le sujet la trouve dans l'hypothèse qu'il vient de découvrir, et dont il fait d'abord un argument en faveur de sa métaphysique jusqu'ici assez pauvre en preuves. Plus tard, par extension. il arrive à confondre l'hypothèse qui a servi d'argument à la métaphysique et la métaphysique elle-méme, comme dans le cas du transformisme dont le peuple a fait, sans grande raison d'ailleurs, le symbole de l'athéisme.
Quoi qu'il en soit, La Crise du Transformisme, ces restrictions faites, est un livre très intéressant.
Nous y voyons opposer les deux grandes théories de De Vries sur les mutations et de Lamarck sur les transformations brutes. Nous sommes fort justement mis en garde contre les exagérations d'une théorie trop nouvelle, exagérations qui aboutiraient à la ruine du Lamarckisme si nous n'y faisions attention. Et c'est alors que, reprenant une à une les expériences et les conclusions de De Vries, M. Le Dantec arrive à nous persuader que, tout bien examiné, les découvertes du savant hollandais peuvent sans doute compléter les découvertes de Lamarck, mais ne les infirment jamais.
Le livre se termine par un chapitre très intéressant sur « les deux tendances biologiques ». C'est un exposé très clair du Darwinisme, que l'auteur caractérise et différencie du Lamarckisme. Nous ne saurions trop en recommander la lecture.

E. A.

HAYMOND MEUNIER. — Le Hachich. Essai sur la psychologie des paradis éphémères. — Paris, Bloud. 3 franes.

Une étude sur le Hachich et sur ses effets échappe par sa nature au cadre d'une revue d'idées comme l'est Le Spectateur. Aussi M. Raymond Meunier nous excusera si nous nous récusons sur la partie proprement thérapeutique et physiologique de son ouvrage, quelque intérêt que nous y ayons trouvé, pour n'en retenir ici que les éléments et les conséquences idéologiques.
Une des choses qui doit le plus frapper le psychologue de l'intelligence et même le logicien dans les phénomènes produits par le Hachich comme par les autres substances analogues est le caractère spécial des sensations et des représentations qu'il procure; en un mot de l'état dans lequel il met ceux qui y ont recours. Il est dans la tradition d'appeler cet état artificiel et notre esprit ne peut pas le concevoir autrement. Cependant, dès que nous voulons définir ce terme artificiel, nous rencontrons les plus grosses difficultés. On ne peut pas le définir en lui-même, mais, peut-être, peut-on le faire par contraste en cherchant à quoi il s'oppose. Or il est presque impossible de savoir si artificiel s'oppose dans ce cas à naturel, à vrai ou à normal. L'état du hachiché est-il pas-naturel, est-il faux, est-il anormal? Plus on pousse l'analyse, plus le flottement de sens du terme artificiel est saisissable, car ce terme apparait s'opposer d'une façon égale à trois termes qui ne sont pas identiques.
M. Raymond Meunier a rompu avec la tradition, et les paradis artificiels des Hachichés sont appelés par lui les paradis éphémères. Sa terminologie est excellente et a des chances d'être conservée. 1° Parce que le terme éphémère peut se définir facilement et évite ainsi à l'esprit l'angoisse logique causée par le flottement de sens du terme artificiel.
2° Parce que cette terminologie nouvelle pourrait être un commencement d'explication. Ne se pourrait-il pas, en effet, que l'état du hachiché nous paraisse artificiel uniquement parce qu'il est éphémère. Assurément ce n'est point une explication suffisante, et il resterait à montrer comment le fait, pour un état psychologique, d'être éphémère nous force à le tenir pour artificiel. Ce que nous disons n'est qu'une indication, mais qui peut être utile.
Nous n'avons guère parlé dans cette note que d'une question de terminologie. Mais ces questions ont toujours beaucoup d'importance et d'intérêt. Importance et interêt qui augmentent ici, en raison de la valeur de l'ouvrage à propos duquel nous les avons posées.

V. M.

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