
Lettre J.P. en réponse à M. R. Brignac sur le même sujet
Article paru dans Le Spectateur, n° 49, septembre 1913.
(M. R. Brignac a reçu, sur le même sujet, la lettre suivante de M. Jean-Paulhan :]
J'ai lu avec intérêt votre note sur l' « argument d'insuffisance ». Il est tout à fait vrai qu'il y a là un argument, et de grande portée. J'ai entendu, il y a deux jours, un père dire à son fils qui montrait le désir, dans une fête, de taper à coups de masse sur une tête en bois — vous connaissez sans doute ce jeu —: « Penses-tu que tu feras partir le coup? » (car une amorce éclate quand le coup a été assez fort). C'était dit pour décourager l'enfant, et celui-ci n'a pas insisté. Il me semble qu'il y a là un argument d' « avant la discussion », en quelque sorte; une tentative, non pour faire admettre de l'adversaire une idée opposée aux siennes, mais pour lui montrer que les idées même qu'il croit siennes sont incohérentes ou imparfaites et qu'il n'y croit pas tout à fait. Les deux exemples que vous citez ne signifient-ils pas, réellement ceci : « Si vous étiez logiques avec vous- mêmes, ce ne serait pas le service de 3 ans, mais celui de 4 ou de 5 ans que vous demanderiez » et : « Etes-vous donc décidé à déclarer toutes les maladies? » C'est-a-dire : « Soyez d'abord logiques avec vous- mêmes. Nous discuterons plus tard ». Au discrédit jeté par là sur les opinions de l'adversaire, les réponses « cela vaut toujours mieux que rien » ou « c'est toujours un commencement » ne répondraient que très imparfaitement, parce qu'elles portent déjà sur un point tout différent. D'où la force de l'argument.
J.-P.