
Lettre de M. R. Brignac
Article paru dans Le Spectateur, n° 49, septembre 1913.
(En même temps qu'il nous envoyait, au cas où le Spectateur voudrait la publier, la lettre qu'il avait reçue de Jean-Paulhan et qu'on vient de lire, M. R. Brignac nous proposait les réflexions suivantes :]
Cette lettre et la note que Marcel Pareau a bien voulu me soumettre répondent bien aux questions que je posais à leurs auteurs sur l'« argument » et l'« argumentation » en cause. Peut-être même, — et je ne lui en fais pas un reproche, — M. Pareau est-il allé plus loin que ie l'entendais en opposant le point de vue « argumentation » au point de vue « argument ». Sans y attacher plus d'importance qu'il ne convient, il s'est interrogé sur les intentions de Clément Vautel. Je crois comme lui qu'il serait oiseux de se demander si l'auteur de l'entrefilet avait plutôt envie de plaisanter que d'argumenter. A part les cas où une plaisanterie doit visiblement être attribuée tout entière à une gaîté désireuse de se donner libre cours (et encore ?), il est bien rare qu'elle ne puisse pas servir au moins d'indication sur l'attitude vis-à-vis d'une question. Et cela doit être encore plus vrai lorsqu'il s'agit d'une plaisanterie imprimée dans un journal à une place où il s'agit quotidiennement de quelque problème occupant plus ou moins l'opinion publique. Même à supposer que le journaliste n'ait eu lui-même d'autre intention que de plaisanter, beaucoup de lecteurs auront vu dans son petit article une façon de prendre parti et une tentative d'influer sur leur opinion. Il se peut fort bien aussi que, si argumentation il y a, M. Pareau ait vu mieux que moi contre qui elle était dirigée dans l'esprit de Vautel. Mais j'en reviens encore à ma remarque sur le caractère d'actualité de la collaboration quotidienne de l'auteur au Matin. Or je crois que le problème « à l'ordre du jour » après le vote de l'Académie de médecine, c'était dans l'esprit public le bien fondé de la déclaration de la tuberculose, et non pas, sauf peut-être pour certains politiciens ou spécialistes, celui d'une nouvelle intervention étatiste. Là encore, je peux fort bien me tromper. Je sais aussi que Pareau pourrait me répondre qu'à propos du problème d'actualité Vautel était en droit, et se montrait même très avisé, de toucher une question plus générale, intimement liée à ce problème. Mais il suffit qu'un seul lecteur ait vu dans l'article de Vautel une intervention de ce que j'avais appelé l'argument d'insuffisance pour qu'on puisse se poser les questions que je posais. Je suis peut-être ce seul lecteur. Je dis « peut-être », non pas parce que je doute d'avoir compris de cette façon, mais parce que je doute d'avoir été le seul à le faire. En tout cas Pareau a fait le petit travail d'hypothèse nécessaire pour se placer à ce point de vue et se poser les dites questions. C'est précisément ce que je lui demandais et ce dont je le remercie. Je n'espérais pas que le Spectateur me répondrait aussi complètement. Sans cela j'aurais été plus hardi encore et j'aurais davantage insisté sur mes autres questions, en particulier sur celle du schéma relatif aux conditions de légitimité de l' « argument d'insuffisance ».
R. Brignac.