
Les idées modernes sur les enfants
Article paru dans Le Spectateur, tome deuxième, n° 10, février 1910.
LIVRES NOUVEAUX
A. BINET. — Les Idées modernes sur les enfants. — Paris, Flammarion, 3 fr. 50.
Dans ce livre qui modestement ne vise à être qu'un bilan, M. Binet s'est proposé, parmi les trois grands problèmes pédagogiques : programmes, méthodes d'enseignement, aptitudes des enfants, de donner le résumé et les conclusions des études relatives à ce dernier, le plus négligé, mais non pas le moins important. Il prend ainsi directement position contre l'objection fondamentale qui nie la possibilité des méthodes scientifiques en pédagogie parce qu'en ces matières tout dépend des particularités individuelles. Cette objection a un fond de vérité, mais le fait de la dépendance n'exclut nullement a priori l'intervention scientifique : ce qu'il y a en effet de plus scientifique, la loi mathématique, est précisément l'expression d'une dépendance, et l'application pratique d'une telle loi est rendue possible grâce à ce que cette dernière fait connaître les modalités des moyens à prendre en dépendance ou, comme on dit, en fonction de celles mêmes des éléments sur lesquels on travaille et du but qu'on veut atteindre. Ce qui est vrai, ce qu'on exprime avec plus ou moins de précision en disant que la pédagogie, comme telle autre discipline, médecine ou chirurgie, politique ou science pénale, n'est pas « mathématique », c'est qu'on ne peut y découvrir des lois embrassant dans l'unité d'une formule générale la multiplieité infinie des cas particuliers. Mais, à défaut de ces lois, on peut trouver des règles s'appli- quant à des classes, c'est-à-dire à des groupes d'individus assez semblables pour qu'il n'y ait pas d'inconvénient pratique à les traiter de façon identique. De telles classes et de telles règles existent depuis qu'il y a des hommes et qui agissent, mais tout particulièrement de nos jours en matière d'enseignement: examens d'entrée, de passage, de sortie, n'ont pas d'autre but que d'opérer les classifications nécessaires. Il ne s'agit donc pas d'innover radicalement, mais seulement d'éliminer de ces classifications ce que leur détermination a en général d'arbitraire et d'aléatoire. C'est le but que se propose M. Binet au sujetdu développement physique de l'enfant, de sa vision, de son audition, de son intelligence, de sa mémoire, de ses aptitudes. Dans l'impossibilité de résumer un livre aussi riche, nous y renvoyons le lecteur, en lui recommandant surtout, parmi bien d'autres, le passage du chapitre v où est exposée la méthode pour la mesure de l'intelligence, méthode applicable précisément à tous les examens. Il convient, à propos de cette méthode et des autres procédés décrits et pour tranquilliser ceux qui craindraient de voir le rôle de l'éducateur réduit à celui de manœuvre, de noter que M. Binet répète avec insistance qu'il exige au contraire du tact, du doigté, en un mot autant et plus d'intelligence que les méthodes dites empiriques. Pour nous, nous tenions à signaler un ouvrage qui doit servir de modèle à toutes les tentations d'application à la pratique des sciences de l'esprit.
R. M.-G.