
L'effet précaire des rectifications de presse
Article paru dans Le Spectateur, n° 48, juillet 1913.
Un journal publiait récemment une lettre de rectification relative à un article paru la veille sur un sujet qui n'importe pas ici et de laquelle nous extrayons la phrase suivante : « En outre, la citation extraite du Times est inexacte, le juge ayant déclaré, non pas que M. Leadbeater était « un homme immoral », mais qu'il considérait certaines de ses opinions comme immorales, ce qui est tout différent. » Il est bien connu que de pareilles rectifications ne remettent pas les choses en place dans l'opinion publique. Les raisons en sont multiples et, la plupart, faciles à trouver : différences dans le mode de publication, dans le nombre des lecteurs, qui d'ailleurs ne sont peut-être pas les mêmes le jour de la rectification, difficulté qu'ont un grand nombre d'esprits à effacer complètement une impression une fois attachée sur une personne, etc., etc. Il convient d'en signaler une autre. Supposons qu'on puisse évaluer la différence de l'impression mauvaise qu'aurait produite une rédaction exacte donnée le premier jour avec celle qu'a produite la rédaction inexacte. Supposons maintenant que l'esprit du lecteur de la lettre de rectification fasse une évaluation analogue au moment où il lit la phrase rapportée ci-dessus. On peut presque affirmer que dans le second cas la différence sera sensiblement moins grande que dans le premier. La raison en est que, voyant les deux rédactions côte à côte, il sera frappé d'un élément de ressemblance plus apparent que réel: la similitude verbale, représentée ici par l'emploi du même mot « immoral ». Or, faire une distinction sur le même mot, employé il est vrai différemment, c'est, pour, l'esprit commun, étant donné l'importance qu'a pour lui le mot, être « subtil », chercher à se tirer d'affaire ! Plus généralement, faire saisir une nuance, même forte, entre deux termes rapprochés dans l'esprit est beaucoup plus difficile que de donner l'impression juste du premier coup, par l'emploi du mot juste au cours d'un texte cohérent. Au point de vue logique et en droit, une erreur rectifiée n'est plus une erreur. Au point de vue psychologique et en fait, — quoi qu'en ait dit R. Martin-Guelliot à propos de récentes « observations » (n° 44), et dans un sens un peu différent, il est vrai, — une erreur rectifiée est encore un peu une erreur.
F. C.