Le nouveau ministère et la compétence
Article paru dans Le Spectateur, n° 53, janvier 1914.
La lecture de ma lettre sur la chute du ministère Barthou, à laquelle vous avez bien voulu faire une place dans le dernier numéro du Spectateur, me fait songer à vous envoyer quelques réflexions que m'a suggérées la composition du ministère Doumergue-Caillaux. Elles se rapportent au problème de la compétence dont vous vous êtes souvent occupés.
Il semble que le raisonnement qui a déterminé le choix des deux ministres les plus notables de ce peu reluisant cabinet ait été un double sophisme en sens inverse : sophisme de la compétence et sophisme de l'incompétence. Pour faire ressortir ces sophismes, il suffit, comme dit la logique de Port Royal, de le mettre en forme. Usons de la recette. Il vient :
Sophisme de l'incompétence. M. Doumergue est parfaitement incompétent aux affaires étrangères. Mais c'est précisément ce qui nous rassure. Etant incompétent il ne fera rien, donc rien de mal.
Sophisme de la compétence. M.Caillaux est un grand financier. Cela doit nous suffire. Tout ce qu'il fera aux finances sera bien. Mais il a commencé par ruiner le crédit, en touchant à l'immunité de la rente, il a rendu ainsi impossible un emprunt jugé nécessaire. Bah ! vous n'y entendez rien. Puisqu'il est compétent et que vous ne l'êtes pas, c'est vous qui vous trompez. O beata simpficitas!
Un lecteur.