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couverture de la revue Le Spectateur

Le concours des Sept Merveilles du Monde

organisé par un journal du matin

Article paru dans Le Spectateur, tome sixième, n° 55, mars 1914.

Les concours institués par les journaux se sont multipliés peu à peu, et, à la suite de quelques-uns restés célèbres, sont devenus fréquents. Bien qu'ils soient inspirés par un désir d'ailleurs légitime de réclame, et que la grande majorité des concurrents soit plutôt alléchée par les prix offerts, qu'intéressée par les questions proposées, ces concours peuvent prêter à un examen logique, et en particulier celui des « Sept Merveilles du Monde » dont on vient de publier les résultats peut être l'occasion de quelques remarques.

On pourrait longuement épiloguer sur cette manie assez répandue aujourd'hui de donner des numéros d'ordre à des choses ayant bien peu de rapports entre elles, telles que, dans le cas présent, l'aéroplane, le radium, la tour Eiffel, l'antisepsie, la découverte des pôles, le canon de marine, etc., etc..

Pourquoi grouper en vedette les soi-disant sept meilleures de ces inventions, pourquoi sept ? La raison d'analogie avec les sept merveilles du monde antique est bien faible, celles-ci étant toutes des constructions remarquables, et non des inventions.

Le sujet du concours est donc assez impénétrable et toutes proportions gardées me rappelle un peu une question qui m'a été autrefois posée ; «Qu'est-ce qui est le plus difficile à conduire : une bicyclette, une locomotive, ou un bateau à vapeur? » La réponse m'embarrassait, je l'avoue, sans m'intéresser nullement.

Tout ceci mis à part, ce concours peut être considéré comme une enquête faite, dans les milieux les plus divers et plus spécialement dans les familles modestes, chez de nombreux travailleurs de tous métiers qui, plus facilement que les gens aisés, se laissent tenter par l'aubaine possible des prix et se livrent aux recherches proposées, quelles qu'elles soient.

Par le règlement même du concours, il se trouvait que le jury était formé de l'ensemble des concurrents, donc destiné à favoriser ceux qui refléteraient le plus exactement la moyenne des chercheurs, et non pas les meilleurs. Les probabilitésétaient donc de voir mettre en vedette les inventions ayant le mieux frappé l'imagination des foules,possédant la plus grande utilité apparente, ou contenant, toujours en apparence, les plus belles promesses d'avenir.

Le concours risquait d'exclure le mérite propre des inventions proposées dû aux plus grandes difficultés vaincues, à la plus forte somme d'intuition nécessaire à leur mise au jour, à leur plus haute valeur morale, ou même seulement à leur plus grande utilité future. Le choix même des découvertes proposées en écartait déjà quelques-unes des plus remarquables; il est vrai qu'elles eussent porté sur les parties les plus théoriques de la science et que le concurrent moyen aurait été bien en peine de les juger.

Toutefois la théorie des équations intégro-différentielles, la mesure de la grandeur absolue des molécules, seront peut-être d'une portée plus générale et porteront encore leur fruits longtemps après que la dernière locomotive à vapeur sera entrée définitivement au Conservatoire national des arts et métiers.

Mais il faut prendre les concours comme ils sont. Celui qui nous occupe, fout effort de réclame mis à part, était limité à un classement de quelques réalisations de la science appliquée, et l'opinion moyenne n'était pas inutile à connaître puisqu'elle nous gouverne quelquefois.

Les sept gagnants sont, dans leur ordre, les inventions suivantes :

Aéroplane,T.S.F.,radium, locomotive, greffe humaine, sérum antidyphtérique, dynamo.

Il y avait gros à parier pour la T.S.F. et l'aéroplane comme bons premiers.

On s'étonne un peu de voir la greffe humaine figurer en aussi bon rang, ses résultats ayant été jusqu'à présent limités.

Les autres gagnants sont évidemment parmi les plus importantes des découvertes, mais, dans les trente-huit autres proposées, un bon nombre pouvaient avoir le même rang, l'utilité, ou l'importance des inventions pouvant être jugées à tant de points de vue différents que les réponses pouvait être légitimement très variables.

En somme il faut regarder ces concours principalement comme des jeux, et si l'on considère le point de vue purement logique, le concours des petits pois était mieux choisi, ne mettant pas en jeu mille questions in- solubles, parmi lesquelles la compétence problématique et des concurrents, et du jury.

O. C.

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