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couverture de la revue Le Spectateur

Le cas Debussy

Article paru dans Le Spectateur, n° 13, mai 1910.


LIVRES NOUVEAUX

C.-FRANCIS CAILLARD et JOSÉ DE BÉRYS. — Le Cas Debussy. - Paris,- H. Falque, 2 fr. (Bibliothèque du Temps présent.)

Rien de plus curieux pour la psychologie, la pathologie, si l'on veut, des critiques d'art contemporains, que de feuilleter Le Cas Debussy. M. Debussy est dans la musique d'aujourd'hui un phénomène imprévu; aussi la critique ne peut se passer, sans croire se manquer à elle-même, de le disséquer, l'expliquer, le rattacher à des sources ataviques, à des hérédités, et l'on voit les savants musicographes se jeter leur latin à la tête. Ses admirateurs lui découvrent des ancêtres, les autres lui reprochent de n'en avoir pas et d'entraîner les notes trop loin des sentiers connus, voire même hors de la musique. Nous ne serons ici que simples spectateurs, moins à cause du titre que du cadre de cette revue; nous pouvons néanmoins regretter que l'Enquête si intéressante entreprise par la Revue du Temps présent, et que MM. Caillard et de Bérys publient in extenso, ait abouti à un aussi violent débat, où, sauf de rares exceptions, personne n'ait cherché à apporter à l'étude de la question la moindre impartialité, au moins apparente. Les affirmations les plus contradictoires se croisent, sont lancées dru comme flèches, et les méchancetés personnelles ne sont pas épargnées; les essais d'explication ou d'analyse ne manquent pas cependant, mais s'appuient sur des bases tellement opposées, suivant les cas, qu'ils se réduisent à d'autres affirmations également contradictoires, si bien que le seul moyen de prendre parti est d'avoir son opinion faite d'avance. Le véritable procédé serait peut-être d'écouter sans préjugé la musique de M. Debussy, mais on courrait le risque de tomber dans un modérantisme de mauvais aloi, d'admirer certaines œuvres ou certains passages, à l'exception d'autres, tandis que chacun sait qu'aujourd'hui il en est du debussysme comme il en fut du wagnérisme : to be or not to be. Pour une lutte aussi chaude on n'a pas craint d'aller chercher des armes jusque dans les greniers des arsenaux de la métaphysique. Témoin cette phrase, que cite M. Cor, d'un debussyen — d'un grosboutien — qui d'une manière générale refuse au rythme tout rôle dans la musique: « Je considère le rythme comme l'œuvre d'une intelligence artistique encore rudimentaire... L'intelligence suprême ne pense pas le monde sous forme rythmique, puisque le temps n'existe pas pour elle, et que le rythme est la division du temps. » Et les mouvements périodiques des astres, les saisons, les jours, les vibrations lumineuses et acoustiques, les générations vivantes, qu'est-ce qui n'est pas rythme dans la nature? Mais nous nous étions interdit de mettre le pied dans l'arène. Tout esprit curieux, d'ailleurs, tendra à devenir juré dans le cas Debussy, ne fût-ce que pour écouter les plaidoiries vivantes et imprévues de cette cause célèbre.

O. C.

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