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couverture de la revue Le Spectateur

La jeunesse de Richelieu

Article paru dans Le Spectateur, tome sixième, n° 55, mars 1914.

Un feuilleton de M. André Hallays, déjà un peu ancien (Débats du 11 octobre 1912), contient le passage suivant, relatif au séjour de Richelieu, jeune évêque de Luçon, dans sa ville épiscopale :

« Puis, si Luçon est l'exil, Poitiers, qui n'est pas loin, offre à l'exilé de belles compensations. Il y a dans cette ville une réunion de théologiens et de juristes qui, ayant vite discerné les mérites du jeune évêque, l'associent à leurs études et à leurs controverses. Ce sont les Citoys, les Pidoux, les Sainte-Marthe, les Bouthillier, les La Rocheposay, les Duvergier de Hauranne. Le mouvement de la Renaissance se continue dans les provinces françaises, alors qu'à Paris les intelligences ont déjà accepté des maximes et des modes nouvelles. M. G. Hanotaux qui a composé un vivant tableau de la jeunesse de Richelieu, fait cette remarque très ingénieuse et très juste que par son séjour en province Richelieu se rattache au seizième siècle, « et qu'il en garde, dans l'amoindrissement du siècle suivant, l'originalité et la vigueur ». »

Le rapprochement exprimé par M. Hanotaux vient illustrer quelques considérations exprimées autrefois ici « à propos d'une pensée de Vauvenargues » (II, n° 12, p. 161), concernant un anachronisme relatif entre les cerveaux humains appartenant à des hommes contemporains de corps, mais non d'esprit. Il est particulièrement intéressant de voir quel contact direct Richelieu a pu avoir avec le mouvement intellectuel de la Renaissance, qui était le passé précédant immédiatement son époque. Le futur Cardinal possédait en effet dès ce moment avec une grande fermeté de caractère une intelligence ordonnée et puissante; il était armé pour voir plus loin que ses contemporains, pour lancer vers l'avenir des regards plus perçants, pour être en somme en avance sur son époque.

Réunissant sous son front la nourriture du passé et la vision de l'avenir, il a pu embrasser une période assez longue pour jouer un rôle directeur de premier ordre, pour incarner le Janus dont on a parlé, pour être en somme un homme d'Etat hors ligne.

Le fait de ce double anachronisme est rare, croyons- nous, et nous serions curieux de voir signaler des cas analogues aussi nets.

O. C.

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