
La chute du Ministère
Article paru dans Le Spectateur, n° 52, décembre 1913.
Avez-vous remarqué l'incident décisif qui a amené la chute du ministère ? Un mot a perdu Barthou: l'allusion aux déclarations de la Commission du budget; ce coup droit, cette personnalité, a cristallisé tous les éléments d'hostilité et d'opposition qui étaient dans l'air. Barthou a eu beau expliquer son mot, essayer de le rattraper; on ne l'écoutait plus, on ne voulait plus l'entendre, il était perdu. Clémenceau était tombé dans les mêmes conditions ; son insolence à l'égard de Delcassé, si vertement relevée, l'avait perdu. Tant il est vrai que l'orateur doit avant tout avoir du sang-froid, du calme, doit maintenir la discussion sur les hauteurs, dans la région des idées ; s'il est blessant, s'il fait des personnalités (eût-il cent fois raison, fút-il fondé à en faire) il se coule et se noie. Trop peu de gens suivent un débat pour lui-même, ne voient que la question en cause. La logique n'est point tout ; on ne l'aperçoit plus, dès que la passion est en jeu, ou plutot (car elle est toujours en jeu) dès qu'on lui fournit un prétexte pour éclater, dès qu'on approche l'allumette de cette poudre. Si vous cherchez l'actualité dans vos discussions spectaculaires, en voilà une toute chaude et brûlante.
Un lecteur.