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couverture de la revue Le Spectateur

G. Le Bon, Les opinions et les croyances

Article paru dans Le Spectateur, n° 31, janvier 1912.

Dr. G. LEBON: Les Opinions et les Croyances. - Paris, Flammarion (Bibliothèque de Philosophie scientifique), 1911, 3 fr. 50.

Les Opinions et les Croyances sont moins l'œuvre d'un savant ou d'un moraliste que d'un homme politique, et moins d'un politique que d'un polémiste. M. Le Bony rêva cependant, nous dit-il, bien des années, et sous des cieux divers, « tantôt en contemplant ces milliers de statues élevées depuis quatre-vingts siècles à la gloire de tous les dieux qui peuplèrent nos rêves, tantôt perdu parmi les piliers gigantesques de temples aux architectures étranges reflétés dans les eaux majestueuses du Nil ». (p. 10). Ainsi M. Le Bon fut conduit à se demander: « Comment des hommes ont-ils pu être assez croyants pour construire de si grands monuments? » (1) Et cette question, pour simple et naïve qu'elle paraisse, lui a permis d'évoquer à peu près tous les lieux-communs et proverbes qui sont d'usage sur le sujet de la croyance. Ces lieux-communs, M. Le Bon excelle à les présenter, ajoutant à leur autorité naturellé la puissance lourde et saine de son style. Nous résumerons ici ceux d'entre eux qui ont trait aux diverses sortes de logiques, aux croyances individuelles et collectives, à la vie des croyances.

Position du problème. Diverses logiques régissant les opinions et les croyances.

Savoir et croire sont choses distinctes (p. 6).
Le savant perd tout esprit critique du moment où il devient croyant (p. 7).
La foi ne meurt pas. Le crédo religieux est remplacé par le crédo socialiste (p. 8).
L'on agit en vue de trouver le plaisir et d'éviter la douleur (pp. 18 et suiv.).
L'espérance est fille du désir (p. 23).
Certains animaux, tels que les fourmis et les abeilles, sont pleins de discernement. S'ils voulaient réfléchir, comme des hommes, à tous les actes qu'ils accomplissent, ils auraient besoin d'une grande science (pp. 82-84. Logique biologique).
En subjuguant les cœurs, on contraint les volontés (p. 90. Logique affective).
Le gri-gri du nègre, la relique enfermée dans le coffret d'or d'une majestueuse cathédrale et la corde de pendu sont de même famille (p. 96. Logique mystique).
La naissance de la réflexion engendre chez l'homme la faculté de raisonner (p. 101. Logique intellectuelle).
La raison est impuissante contre les croyances les plus erronées (p. 5). Il n'est pas nécessaire de raisonner pour agir (p. 102).
Toute civilisation implique gêne et contrainte. Si on les délivre de leurs entraves, les impulsions primitives reparaissent : ainsi s'expliquent les violences qui accompagnent les révolutions (pp. 112-113. Conflit des diverses logiques).

Croyances individuelles et collectives.

On naît révolutionnaire comme l'on naît conservateur (p. 132).
L'armée des révolutionnaires se recrute dans la foule de dégénérés dont l'alcoolisme et la syphilis peuplent les grandes cités (p. 132).
Si tant d'hommes sont hésitants dans leurs opinions malgré une forte intelligence, c'est qu'ils manquent d'idéal (p. 133).
Si Marat et Hébert avaient assez vécu pour que l'Empire pût leur donner une place, ils seraient devenus conservateurs (p. 137).
Les illusions nous font vivre et embellissent notre route. Elles nous voilent les duretés du sort (p. 147).
Leurs expériences ne profitent guère aux peuples (p. 161).
Il y a une âme nationale (p. 169).
Les opinions et les croyances de la vieille France pèsent d'un irrésistible poids sur la nouvelle. Les facades seules ont changé (p. 171).
L'âme populaire est révolutionnaire dans ses actes, conservatrice dans ses sentiments (p. 177).
Au fond de toutes les revendications sociales se trouve cet idéal : tâcher de dépouiller ceux qui possèdeni (P. 184).
Tous les sauvages membres d'une tribu se ressemblent entre eux: leurs sexes même sont à peine distincts (2) (p. 191).
Les foules ont un besoin intense d'adorer quelque chose: dieu, fétiche, personnage ou doctrine (p. 176).

La vie des croyances. Leur propagation.

On a besoin de croire comme l'on a besoin de manger ou d'aimer (p. 233). Le besoin de foi ne fut pas engendré par les religions : il les enfante (p. 235).
Les croyances furent pendant des siècles les seuls guides de l'humanité (p. 234).
Toute croyance est intolérante (p. 235).
Les martyrs furent aussi nombreux dans toutes les religions et toutes les sectes politiques (p. 240).
A force de répéter une chose, on la croit (pp. 195-6).
L'exemple est dangereux : le succès de certains candidats socialistes a dirigé une foule de jeunes professeurs vers les pires formes de la doctrine (p. 197).
C'est le prestige d'un homme qui détermine son succès (pp. 198-9).
Les foules adorent frénétiquement leurs dominateurs (p. 201).
Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es (p. 204. Contagion mentale).
La femme la plus indépendante n'osera pas porter une robe courte quand la mode lui en impose une longue (pp. 216-7).
Toute annonce prometteuse trouve un public pour y croire (p. 219).
Napoléon lui-même redoutait l'opinion (p. 226).

Ces diverses idées générales sont réunies les unes aux autres avec ingéniosité. Elles pourraient servir de base à une étude de l'idée commune que nous avons de la croyance. Et, de ce point de vue, le livre de M. Le Bon est riche en documents précieux. Que si l'on veut objecter qu'il ne nous apporte guère de faits ou d'observations nouvelles, nous répondrons que cela précisément fait sa force, et que l'influence de M. Le Bon, qui est réelle et étendue,lui vient sans doute de la fidélité avec laquelle il sait enregistrer et reproduire l'opinion commune.

J. P.


(1) Une autre question, de même ordre, préoccupe M. Le Bon: « Comment des croyances religieuses ou mystiques ont elles pu séduire des savants? » et en particulier : « Comment M. Richet peut-il admettre la vérité du spiritisme? » (Cf. op, cit., pp. 5,15, 283-292 96406% 323-330, etc.)
(2) Le socialisme étant, suivant M. Le Bon, un effort pour revenir à ces temps primitifs. (L'on peut noter ici qu'un proverbe malgache et bantou dit: « Etre aussi pareil l'un à l'autre que deux Européens ». Il y a donc là un lieu-commun fort répandu.)

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