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couverture de la revue Le Spectateur

Correspondance

Nous recevons d'un de nos lecteurs la lettre suivante que nous nous faisons un plaisir de publier. Il va sans dire que, pas plus que ne le fait notre correspondant aux termes de sa lettre, nous n'entendons prendre ici parti sur l'une ou l'autre des questions auxquelles il est fait allusion.

Nantes, le 26 avril 1909.

Monsieur,
La lecture du premier numéro de votre revue m'a fait rechercher dans mes cartons une coupure de journal dont l'examen me semble confirmer quelques-unes des remarques de votre article et de celui de M. Pareau. Voici ce dont il s'agit.
Il y a quelques mois, en arrachant la bande de mon journal, L'Eclair, mes yeux tombèrent sur le paragraphe suivant qui terminait un article :
« La morale laïque a-t-elle un avis sur cette question ?... Seule, la morale religieuse me paraît la trancher d'une façon catégorique et satisfaisante : elle interdit de sous- traire la vie humaine à l'intervention, toujours possible, de la Providence divine, etc. »
Je fus très surpris : c'était au moment où la question du maintien de la peine de mort était vivement débattue ; il ne me vint pas à l'esprit qu'il pût s'agir d'autre chose, et je ne pouvais comprendre que mon journal, fervent anti-abolitionniste, ait ainsi changé d'opinion. Ceux de mes amis à qui je montrai la phrase séparée de son contexte eurent tous la même surprise.
En fait il s'agissait de savoir... si un médecin a le droit de donner la mort à un incurable.
Quand j'eus la clé de l'énigme, je ne pensai certes pas à accuser mon journal de contradiction, car je sais trop combien les questions sociales sont complexes ; mais il y avait là, à ce qu'il me semblait, un amusant exemple de la façon dont on a recours à des principes d'ordre général et absolu quand ils favorisent notre opinion, sans se demander si, dans un cas voisin, ils n'iraient pas à l'encontre d'une opinion qui ne nous est pas moins chère.
Agréez, etc...
A. ROBERT.

L'exemple recueilli par notre correspondant est en effet très instructif. Il ne s'agit nullement, comme il le fait remarquer, d'accuser de contradiction ceux qui soutiennent dans la pratique des opinions semblant faire appel à des principes contradictoires. Les nécessités de la pratique sociale, en faisant intervenir dans certains cas des principes d'ordre supérieur (à propos de la peine de mort, par exemple, celui du besoin de sécurité générale) peuvent très légitimement amener à abandonner des principes auxquels on doit s'en tenir dans la vie individuelle. D'une façon générale on ne peut exiger de l'homme d'action la rigueur logique de l'homme d'étude. Mais on peut s'étonner par contre que, refusant à juste titre de s'imposer des principes souverains, il tienne cependant à se donner le bénéfice de généralité et d'absolutisme dont jouissent ces principes. On ne demande pas au marchand de houille de peser ses sacs avec la balance de précision du pharmacien, mais il serait mal venu de son côté à prétendre que ses résultats ont la minutieuse exactitude des pesées de laboratoire.


Le Gérant : R. MARTIN. PARIS. — IMP. LEVÉ, RUE CASSETTE, 17. - 5.

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