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couverture de la revue Le Spectateur

L'art de persuader et la psychologie des sentalités

Article paru dans Le Spectateur, n° 51, novembre 1913.


M. André Duboseq, au cours d'un de ses nombreux et intéressants articles sur la politique étrangère, nous fournit un document sur la persuasion dans ses rapports avec la psychologie des mentalités. Nous l'empruntons à la Revue hebdomadaire du 14 juin 1913 : Tripoli après la conquête.
C'est un avocat italien qui parle : « Les Arabes? Mais, monsieur, quand ces gens verront que nous leur donnerons un bien-être que les Turcs n'ont jamais su leur procurer, ils viendront infailliblement à nous... En tout cas, je ne crois pas que le fanatisme religieux suffise à leur faire reieter les avantages de toutes sortes que nous leur apportons. » (p. 242-243.) L'erreur de l'avocat consiste à ne tenir aucun compte de la mentalité de l'indigène, et en particulier de sa mentalité religieuse. Il raisonne en quelque manière ainsi : « Maître pour maitre, les Arabes préféreront celui qui leur assure un bien-être plus grand. » Or il oublie que l'identité des convictions religieuses crée entre Turcs et Arabes un lien qul se saurait exister entre Arabes et Italiens: il ne songe pas davantage à mesurer exactement le degré d'hostilité que les Arabes peuvent éprouver pour des hommes d'une religion différente, en raison même de la profondeur et de l'originalité de leur eroyance. Mais contrairement à l'opinion de l'avocat italien, « la différence de religion est toujours suffisante à tenir les musulmans éloignés des chrétiens. » (p. 256) L'erreur de l'avocat italien est identique à celle que nous commettons journellement quand nous nous imaginons persuader autrui par l'évidence de nos raisons ou par la considération de ce que nous estimons le meilleur parti. Nous oublions que l'argument qui a de la valeur pour nous n'en a pas pour notre interlocuteur, parce qu'il existe en celui-ci tout un système de sentiments, d'idées ou de croyances qui neutralisent complètement l'effet des raisons ou des motifs jugés par nous décisifs et tout puissants.

André Joussain.

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