aller directement au contenu principal
couverture de la revue Le Spectateur

Accusés de réception

Article paru dans Le Spectateur, n° 48, juillet 1913.


LIVRES ET PÉRIODIQUES

Accusés de réception

La Force-Pensée, par W. W. Arkinsos (trad. J. Bois. son de la Rivière) et L'Evangile du Bonheur, par J. BOISSON DE LA RIVIÈRE. — Paris, Richonnier, 6.50.

Il existe en France peu de livres de • psychologie pratique ». Certains pourraient l'être, qui ne le sont pas; je songe à l'Education de la Volonté si subtile et exacte, de M. Payot, à l'ouvrage du Dr Lévy, ingénieuse utilisation « laïque » de la prière — tous deux livres sévères et tristes, non pas tant pour le caractère « scientifique » des conseils qui y sont présentés, mais parce que l'on encourage peu le lecteur à les suivre — lui montrant bien comme il doit exercer sa volonté, mais non la joie qu'il y trouvera. Laissant par là quelqee malaise. Il convient de rappeler la vieille objection: pour suivre de telles méthodes, il faudrait avoir tout d'abord plus de volonté que l'on n'aura besoin d'en posséder de toute une vie.
Or W. W. Atkinson promet : le bonheur, la domination, la beauté, la guérison de toutes maladies, l'acquisition d'amis nombreux et serviables. Charlatanisme? Eh, pourquoi cette crainte, et ne point dire franchement au lecteur ce que l'on veut obtenir qu'il se dise à lui-même. Ou si vous le croyez naïf dès qu'il est seul, et averti tant qu'il vous écoute?

Car l'éducation de la volonté est d'abord l'art de se convaincre soi-même. Dispute d'un genre tout particulier, où le parlant et le parlé (1) ne sont qu'une même personne. Il est curieux qu'un seul argument semble lui convenir : celui qui nie la dispute et affirme d'abord le triomphe assuré du parlant.
Le Dr Lévy insiste longuement là-dessus dans ses conseils d'autosuggestion : « ne point se dire que l'on veut guérir, mais que l'on est déjà guéri : se le répéter sans trouble, sans inquiétude, sans hésitation ». Un des chapitres de l'ouvrage de M. Boisson de la Rivière est composé d'affirmations telles que celles-ci :
Je suis positif, fort, puissant, maître de moi et des autres.
Je suis plein de vie et d'énergie.
« Je suis plein de courage. Je ne crains personne, je ne crains rien.
Personne ne peut m'intimider.
Je me remets bien vite de toute indisposition.
Tous mes organes sont sains » (p. 117).
« Beaucoup de personnes, ajoute-t-on, se trouvent changées du tout au tout après avoir lu de telles affirmations. »
Un tel argument a été longuement étudié ici même, et nommé l'argument des identiques (Spectateur, n° 29). Peut-être touchons-nous ici à son emploi le plus spontané et en quelque sorte à sa racine psychologique. Que si l'on veut, au contraire, l'apprécier d'un point de vue plus général et philosophique, l'on connaît, par le Bovarysme de M. J. de Gaultier, que les hommes se tiennent essentiellement pour autres et meilleurs qu'ils ne sont. A la lumière d'une telle loi, la lecture des ouvrages cités plus haut ne peut qu'être profitable.

J.-P.

  1. Suivant l'expression de M. Pierre Janet.

GEORCES AIMEL : La Jalousie sexuelle. Etude psycho-sociologique. — Lons-le-Saulnier, Lucien Declume, 1911.

M. Georges Aimel se place successivement, dans cette étude relativement courte, à tous les points de vue auxquels on doit étudier un sentiment concret comme l'est la jalousie sexuelle : il consacre ses six chapitres à la définition, aux différents aspects, aux éléments et à révolution en tant que passion, aux formes pathologiques de la jalousie, à ses conditions sociologiques de fréquence, à sa place dans la vie morale. L'auteur recourt à toutes les sortes d'informations. Si les psychologues proprement dits l'ont aidé à donner de la jalousie la définition et l'idée générale, si les spécialistes de la pathologie lui ont été plus utiles encore peut-être dans l'analyse des éléments de la passion, il a eu aussi grandement raison de ne pas s'interdire de consulter les descriptions littéraires.
Sans doute ces dernières ne peuvent-elles pas être introduites sans critique dans un travail psychologique: la prédominance du souci artistique, et surtout l'adoption inconsciente des notions que l'écrivain sait être celles du public et qui sont souvent étrangement erronées à l'égard des faits psychologiques les plus communs, d'autres raisons encore, les rendent sujettes à caution. Mais, outre que l'histoire témoigne de l'extraordinaire intuition psychologique qu'a eue par exemple un Shakespeare, outre que nombre de romans et de pièces donnent au critique aussi bien qu'au moins raffiné des lecteurs ou des spectateurs une impression de réalité qui ne saurait tromper, il faut bien songer que ces document-là sont les seuls qui présentent les sentiments et les passions dans leur milieu naturel, qui est la vie individuelle et la vie sociale, et qu'à défaut des observations d'un Shakespearec d'un Racine, d'un Loti ou d'un Bourget, c'en serait d'autres auxquelles leur ano- aymat ne conférerait qu'une supériorité tout apparente qui se substituerait à elles.
Nous n'avons pas à juger le travail de M. Aimel à son point de vue propre, qui est celui de la psychologie affective. Mais nous ne voulons pas manquer de signaler à cette occasion les liens très étroits unissant l'étude des sentiments concrets aux remarques de psychologie intellectuelle qu'on fait au Spectateur. Ce n'est pas seulement parce que ces sentiments interviennent constamment dans la vie intellectuelle pour modifier avec la force que l'on sait l'exercice de l'attention, du jugement et du raisonnement. C'est peut-être davantage encore parce qu'une étude détaillée de ces sentiments concrets - nous appelons de ce nom, pour les distinguer de sentiments beaucoup plus généraux, plaisir et douleur, admiration, etc., ceux dont le nom seul évoque à l'esprit un ensemble de circonstances assez nettement déterminées, la jalousie par exemple, ou encore la timidité, qui a fourni à M. Dugas l'occasion de donner l'un des meilleurs parmi les travaux auxquels nous faisons allusion, - parce que ces études donc permettent d'opposer la réalité complexe et sinueuse de notre vie affective au schématisme simpliste et à la reconstruction rationnelle que lui substitue l'esprit commun. Assurément on reconnaît l'existence de l'élément profondément irrationnel qui est à la racine de toute passion et de tout sentiment un peu violent, mais presque toujours on en revient à parler et à agir comme si le développement en était ensuite conforme à des lois rationnelles. Or il y a des lois certes, mais non pas de cette nature. Il a été plusieurs fois question ici de l'intérêt qu'il y aurait à recueillir dans les résultats assurés des différents ordres d'études ceux qui se présentent à l'esprit commun comme nettement paradoxaux : liés à l'expérience de tous par une intervention constante et un intérêt vital, les sentiments et les passions se prêteraient de façon privilégiée à de pareilles considérations, et nous comptons sur l'auteur du précieux travail signalé ici pour nous instruire à cet égard, comme il a déjà commencé de le faire par son article sur « la méthode dans la détermination du caractère ».

Retour à la revue Le Spectateur