
Accusés de réception
Article paru dans Le Spectateur, n° 35, mai 1912.
EUGENIO RIGANO : essais de synthese scientifique. Paris, Alcan, 1912. 5 fr. M. Rignano n'est pas un inconnu pour nos lecteurs: deux des « essais » qui composent ee livre ont été étudiés dans le Spectateur lors de leur publication dans Scientia, «le phénomène religieux » par M. P. Maury (n° 13) et « le socialisme » par M. M. Pareau (n° 20); la préface, parue également dans Scientia, fait l'objet d'un compte rendu par M. Maury dans le présent numéro. Citons, parmi les autres « essais » : « origine et nature mnémoniques des tendances affectives », « qu'est-ce que la conscience? » et « le matérialisme historique ». Dans son étude surla conscience, M. R. montre par des exemples frappants « que chaque état psychique n'est par lui-même ni conscient ni inconscient, mais qu'il devient l'un ou l'autre seulement par rapport à quelque autre état psychique. En d'autres termes la conscience n'est pas un caractère en soi qui puisse appartenir à un état psychique pour son propre compte; elle est la caractéristique d'un rapport entre deux ou plusieurs états psychiques ».
P. SAINTYVEs : Les Reliques et les Images légendaires. Paris, Mercure de France, 1912. 3 fr. 50. Etudes curieusement documentées et observations tres fines sur la formation, le développement et la trans- mission de certaines croyances populaires. La partie relative aux « talismans et reliques tombés du ciel » a eté analysée dans le n° 10 du Spectateur. Les recherches sur les « reliques du Buddha » ont fourni à l'auteur un sur les « reliques du Buddha » ont fourni à l'auteur un nouvel exemple du fait, étudié par lui dans de précédents ouvrages, de la transmission d'éléments cultuels entre des religions doctrinalement différentes, ou, comme il dit, « des liens profonds qui unissent les reli' gions vivantes aux religions mortes. Les pratiques bouddhiques ne sont en l'occurrence que des survivances vishnouites et les reliques du Buddha les reliques d'un passé plus lointain ; elles nous font remonter jusqu'aux vieux cultes naturalistes primitifs ou l'animal, l'arbre et le soleil étaient de véritables êtres divins ».
JACQUES BRIEU : La méthode générale et scientifique et les méthodes rationalistes et fidéistes. Paris, Sansot, 1912 3fr. 50. Ce livre, inspiré de Strada, renferme des vues curieuses, et même vigoureuses, en particulier sur l'importance de la méthode, sur le caractère quantitatif de la science moderne, sur le rôle de l'analogie. Le problème de la « méthode générale », posé de taçon intéressante, est peut-être moins bien résolu: il est vrai que l'intervention des questions de spiritisme, d'occultisme et de théosophie, dont l'auteur réclame le privilège d'avoir tenté le premier l'étude « au point de vue méthodique » a rencontré notre complète incompétence. Quoique nous ne pensions pas comme M. B. que « la méthode générale ne peut pas être... l'ensemble des méthodes particulières », nous reconnaissons que son point de vue lui a suggéré des énoncés dont l'étude, au moins fragmentaire, ne serait pas inutile aux tenants des « méthodes particulières ». C'est qu'en eflet les méthodologistes ont surtout à jouer un rôle négatif, ce rôle de « garde- fous » dont parle quelque part Condillac.
Mgr ALFRED BAUDRILLART : Frédéric Ozanam. Paris, Bloud, 1912. 0 fr. 60. Cette biographie, rapide mais vivante, d'un homme ayant eu une existence aussi complète et aussi variée que Frédéric Ozanam, d'érudit et de professeur, d'écrivain et d'orateur, d'homme politique et d'homme d'œuvres, évoque une période un peu négligée du xixe siècle français, où quelques qualités, remplacées peut-être ensuite par d'autres non moins précieuses, ont jeté leur dernier éclat avant les transformations intellectuelles amenées par le développement des sciences positives et par celui des méthodes critiques importées d'Allemagne, avant aussi les transformations sociales et économiques coïncidant à peu près avec le milieu du siècle.
ARTICLES SIGNALÉS :
Revue critique des idées et des livres (25 février. - M. André du Fresnois (Une renaissance du journalisme) voudrait voir se généraliser le retour à un ancien usage dont le Figaro a donné l'exemple en confiant une chronique hebdomadaire à M. Alfred Capus: « Le sujet intéressant traité par un spécialiste : tel apparait l'idéal [des journaux contemporains]; et cela semblerait, en effet, l'idéal, si l'on n'apercevait le résultat que produit, sur le système nerveux du lecteur, ce défilé incessant et trépidant d'images cinématographiques, si l'on oubliait que ce lecteur n'a ni le temps ni la force d'examiner, de contrôler, de faire un choix, et qu'il absorbe tout au hasard. Deux savants, deux sociologues, exposent successivement sous ses yeux deux théories radicalement opposées : pensez-vous que cela le gêne ? Nullement. Afin de ne point offenser un dieu inconnu... il adopte l'un après l'autre les deux systèmes contradictoires. Ainsi se forme ce chef-d'œuvre d'incohérence qu'est une cervelle moderne... » Preuve nouvelle de la nécessité d'une « culture critique » dirigée en particulier vers l'aptitude à percevoir les relations de cohérence et de contradiction entre les idées et apprenant à en tenir compte dans la formation de l'opinion personnelle.